« Seuls les plus éthiques survivront ! », Chronique par A. Malafaye

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Si nous laissons de côté quelques utopies, au demeurant fort réjouissantes du point de vue intellectuel, le profit en tant que tel ne pose pas de problème. Au regard de la société, l’enjeu, c’est la façon dont chaque entreprise le fabrique, ainsi que son usage, sa destination. Le profit… commet, pour qui, pourquoi ? Bien souvent, les mots et leur déclinaison permettent d’éclairer le débat. Selon Wikipedia, « le profit est le gain financier obtenu d’une opération économique ». Une définition un tantinet simpliste qui passe en perte et… profit, ce que le Larousse complète utilement : « Avantage, bénéfice intellectuel ou moral ». Utilisé à bon escient, le profit peut être profitable. A contrario, il sert à enrichir des profiteurs. Profitable, profiteur… une chose est certaine, à l’instar du crime, il profite à quelqu’un, ou à quelque chose. Mais la suspicion qui entoure sa fabrication et sa destination ne concoure pas à renforcer le climat de confiance dont une Nation a besoin pour que ses enfants s’épanouissent sans se méfier les uns des autres. Pour la plupart de nos concitoyens, Hobbes et sa formule « l’homme est un loup pour l’homme » sévissent toujours dans la « boite noire » de l’entreprise. Et les affaires qui défrayent la chronique n’arrangent rien. Tel constructeur qui manipule ses algorithmes pour frauder les tests anti-pollution, tel fabriquant de bonbons qui exploiterait les récoltants de cire de carnauba au Brésil, telle compagnie américaine qui produit des semences stériles ou des herbicides probablement cancérogènes, etc. De la même façon, le fait que les clients en difficulté d’une banque lui rapportent davantage qu’un client créditeur, alimente l’idée que « mon ennemi, c’est la finance ». Ici, un habile partage de la valeur entre parties prenantes permet d’acheter les consciences et de faire passer la pilule de pratiques commerciales que la morale – et les clients – aimerait bien réprouver davantage. Il en va de même avec certains secteurs placés en situation de monopole, qui nous contraignent à subir leurs travers, faute de pouvoir les mettre en cause, ou en concurrence. Dans des univers à forte intensité capitalistique, souvent nécessaires à notre souveraineté, le profit « achète » bien des silences et des détournements de regards. Moins visible du grand public, nous pourrions aussi évoquer le très profitable racket publicitaire mis au point par les géants du web via l’hyper exploitation de nos données personnelles.

Fort heureusement, le tissu économique foisonne d’exemples positifs, mais ils n’accrochent pas autant la lumière des médias. C’est ainsi, et l’indignation qui naît d’un scandale, ou l’émotion suscitée par un drame, seront toujours plus fortes qu’un concert de louanges.

Dans tous les cas, quelle que soit la façon d’aborder la question, si la finalité du profit reste le profit, alors le vers est dans le fruit. La société ne se contentera pas d’attendre indéfiniment que la morale balaye tel ou tel fraudeur, pris la main dans le sac de pratiques illégales, inconvenantes, indécentes, gagne-petit ou border line. Car le monde a muté. « Peu importe que le chat soit noir ou blanc, pourvu qu’il attrape les souris ! » affirmait Deng Xiao Ping en 1961. Ce n’est plus vrai. La façon de faire des affaires ne peut plus se calquer sur le modèle du Monopoly. Conçu en 1935, le jeu montrait qu’il suffisait d’avoir de l’argent, et d’acheter et vendre des ressources – y compris humaines – pour créer de la valeur ajoutée et s’enrichir seul. Désormais, les pions revendiquent leur part, et la révolution numérique, capable de mobiliser les opinions, les y aide pas à pas. Mais ils partent de loin, et l’économie, de peu qu’elle se financiarise, ressemble toujours à un gigantesque casino qu’à une pépinière.

Derrière cette question du profit, s’en cache une autre, plus centrale et transversale. Avec tout ce que nous savons et voyons, en qui et en quoi avoir confiance ? Certainement pas dans les hommes et les femmes politiques. Pour les Français, ils ont failli. Il est trop tôt pour dire si l’arrivée d’Emmanuel Macron changera la donne. A la fois parce que le jugement des Français se fondera sur la matérialité des résultats de sa politique, et sur son style de gouvernance. Et aussi, parce que le recours à certains artifices risque de retarder la présentation de l’addition du fiasco de nos pratiques démocratiques et des multiples dévoiements de l’État de droit. Ainsi, la loi de moralisation qui, pour l’essentiel, repose sur le principe « on ne prend pas les mêmes et on recommence… comme avant ». Mais la messe du quinquennat n’est pas dite, d’autant que le Président de la République ne manque ni d’imagination, ni d’audace. Il vient ainsi de décider d’ouvrir le passionnant mais ultra-complexe dossier de la participation.

Qu’importe. Pour le citoyen, comme pour le « travailleur », rien de tout cela n’est rassurant, ni satisfaisant. Car trop souvent, dans la gouvernance des entreprises comme dans celle de la Cité, le sens, la prise en compte de l’intérêt général et le respect du bien commun font défaut. En un mot, il manque l’éthique.

Pour autant, quelque chose émerge. Initié avec la prise en compte du développement durable dans l’équation économique. Prolongé avec le principe de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dont France Stratégie vient de démontrer qu’elle apporte un gain réel de performance économique. Poussé par l’impératif de bonne moralité des pratiques et l’obligation de « conformité », chaque service et chaque acteur de l’entreprise constituant à lui seul un potentiel maillon faible. Stimulé par la montée en puissance des individualismes.

C’est l’éthique qui, en filigrane, relie ces évolutions. De fait, l’ensemble des systèmes de gouvernance se trouve confronté à l’éthique, sans toutefois bien savoir où la positionner. Constitue-t-elle une nouvelle assurance d’honorabilité, un moyen supplémentaire d’embellir sa vitrine commerciale, sans rien changer à l’arrière boutique ? Ou bien doit-elle se situer en amont, pour inspirer le projet d’entreprise, lui donner un sens augmenté et connecté, et se retrouver en aval, en tant que finalité, au même rang que le profit ? L’avenir nous le dira. Et l’avenir ne sera que la somme de nos actions.

Pour l’instant, avec ou sans compliance ou RSE, la compétition économique sert peu ou prou les mêmes intérêts, et les mêmes grands (des)équilibres. L’appât du gain tient encore la corde. Mais qui sait si demain, la sélection ne s’opérera pas sur le critère de l’éthique, seul gage crédible d’une confiance retrouvée. Peut-être sommes-nous parvenus au fameux « point d’inflexion stratégique » édicté par Andy Grove, le mythique fondateur d’Intel. Dans le prolongement de son livre – Seuls les paranoïaques survivent –, peut-être aurait-il prophétisé : « Seuls les plus éthiques survivront » ! En attendant, laissons le mot de la fin au poète Pierre Reverdy et à sa définition parfaite : « L’éthique, c’est l’esthétique du dedans ».

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