« Présomption d’innocence, incitation à la haine, menaces… Le difficile apprentissage de la prise de parole numérique », Chronique par Fabrice Lorvo

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Retrouvez la chronique de Fabrice Lorvo, avocat spécialiste du numérique et administrateur de Synopia, sur le site de l’Opinion via ce lien.

L’actualité récente nous a démontré, une fois de plus, les difficultés nouvelles que pose la prise de parole numérique, c’est-à-dire l’expression de tout un chacun sur le Web (internet et réseaux sociaux).

Rappelons que la révolution numérique a profondément bouleversé cette prise de parole, réservée jusqu’à récemment à la presse traditionnelle soumise à une déontologie et à une loi (du 29 juillet 1881) qui instaure un mécanisme d’horloger entre la liberté d’expression des uns et le droit des autres qui sont cités. À l’inverse, sur le Web, n’importe qui peut s’adresser au monde entier, immédiatement pour dire n’importe quoi et de façon quasi indélébile.

Quel que soit le support, la loi prévoit et sanctionne les abus de la liberté d’expression, mais dans les faits, sur le Web, les poursuites sont difficiles, la parole numérique de désinhibe et peut sombrer dans un excès.

Prenons d’abord le cas Weinstein. Il est incontestable que cette affaire a permis la dénonciation d’un probable « abus de pouvoir économique » d’un producteur de cinéma. Cet avantage doit aussi être évalué au regard de l’atteinte portée aux principes fondamentaux de la présomption d’innocence et du procès équitable. Il faut se garder de considérer que, dans certains cas, l’évidence s’impose. Il n’existe aucune évidence en matière de justice et la justice doit toujours être exercée devant les tribunaux et par des juges. À défaut, nous reconstituerons très prochainement des Comités de Salut Public Numériques où la vie d’une personne, ou sa réputation, pourraient être discutées et sanctionnées sur le Web, immédiatement et sans appel. Sans justice, la Terreur n’est jamais loin.
De la même façon, la vague #balancetonporc permet probablement de libérer la parole des victimes cachées, mais jusqu’où et à quel prix ? Ne conviendrait-il pas plutôt d’inciter les victimes à porter plainte, avec les garanties toutes les parties bénéficient ?

Quoi qu’il en soit, force est de constater que ce nouvel espace de parole ravive des problématiques plus anciennes auxquelles il est toujours difficile de répondre : doit-on devenir un barbare pour lutter contre la barbarie ?
Sous un autre angle, nous devons nous interroger sur le déferlement de haine et d’appel au meurtre qu’a provoqué la Une de Charlie Hebdo sur Monsieur Ramadan. En droit, l’incitation à la haine ou au meurtre est illégale et sévèrement punie par la loi (trois ans de prison), mais l’effectivité des sanctions est très faible en raison même des caractéristiques de la parole numérique (immédiateté, viralité, quantité). On assiste donc à une banalisation de ces comportements.
Face à ces situations, que pouvons-nous proposer ?
Aujourd’hui, tout l’arsenal législatif pour sanctionner les abus de la liberté d’expression sur le Web existe. L’objectif essentiel est pratique. Il consiste à pouvoir facilement identifier ou localiser les auteurs des abus et à mettre en place des solutions techniques permettant de mettre fin à l’abus. Avec le numérique, l’enjeu le plus important est de pouvoir stopper l’atteinte.
Ce mécanisme a commencé à s’enclencher, car en octobre, les géants du Web et les pays du G7 ont décidé « de mettre en œuvre ensemble » un plan d’action visant à bloquer « des contenus à caractère terroriste ». Là encore, l’arsenal répressif existe, et celui qui a posté un tel contenu pourra être poursuivi (même s’il est généralement hors de France), mais ce qui importe, c’est de mettre hors ligne, sans délai, le message abusif.
Dans le même esprit, les évolutions suivantes devraient être envisagées pour rendre l’espace numérique plus sociable.

1. Mettre fin à l’anonymat sur le Web.

Aussi surprenant que cela puisse paraitre, nous pouvons tous prendre publiquement la parole sur le Web en utilisant des pseudos ou des faux comptes. À l’inverse, il est utile de rappeler que dans la presse traditionnelle, celui qui veut s’exprimer a l’obligation préalable de déclarer son identité et son adresse, et ce pour répondre, le cas échéant, de ses propos.
Sur le même principe, l’individu qui prend la parole sur le Web devrait avoir l’obligation de le faire sous son nom, et son adresse devrait pouvoir être facilement accessible. À ce jour, l’identification est la plupart du temps possible, notamment avec l’adresse IP, mais cette procédure est longue et couteuse pour celui qui est mis en cause. Si aujourd’hui, nous sommes capables de mettre en place le registre des bénéficiaires économiques des sociétés immatriculées en France, nous devrions aussi être capables de tenir un registre des utilisateurs du Web.
Ces règles existent déjà pour tous les sites internet qui ont notamment l’obligation légale (pénalement sanctionnées) de déclarer l’identité et l’adresse du directeur de publication.

Là encore, ces règles ne sont pas toujours respectées. Dans ces conditions, il conviendrait aussi de donner à la personne mise en cause sur le Web le droit de demander la mise hors ligne des comptes des personnes ou des sites internet qui ne respectent pas les obligations légales, et ce, dans l’attente de la régularisation de leur situation.

2. Donner à la victime la possibilité de demander le retrait immédiat de certains messages.

Nous savons que la mise en cause d’une personne sur le Web est, a minima de portée nationale, gratuite, immédiate, permanente et facilement accessible par les moteurs de recherches. La sanction d’un abus nécessite cependant le recours à un tribunal, ce qui est long et onéreux.

Dans des cas particuliers (comme l’incitation à la haine, les menaces de mort, ou pourquoi pas, les insultes), la personne mise en cause devrait avoir le droit de demander, à ses risques et périls, aux supports (Google, Facebook, Twitter) de retirer immédiatement ce type de message, ou de le déréférencer. Bien évidemment, celui dont le message aurait été retiré, à tort, pourrait saisir la justice contre celui qui a demandé le retrait en prétendant qu’il a été porté atteinte à sa liberté d’expression.
De telles solutions pragmatiques seraient de nature, sans remettre en cause fondamentalement les droits des uns, de protéger un peu plus, le droit des autres. Parallèlement, notre premier souci devrait être, dès à présent, d’apprendre, à l’école, aux élèves, à prendre la parole sur le Web. Avec le risque que représentent les dérives engendrées par la révolution numérique, il se pourrait bien qu’il s’agisse là d’un enjeu vital pour la préservation de notre démocratie.

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