Note de Synopia n°6 : Réformer la Santé face à la menace biologique

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Synopia remercie ses membres pour leur contribution à cette note, 
notamment Xavier Marchal, le Général Bertrand Ract-Madoux

et l’Amiral François Dupont.

La pandémie du COVID-19 a provoqué une crise gravissime imputable à une brèche dans notre système de sécurité sanitaire, plus précisément à l’insuffisance des dispositions destinées à nous protéger contre les risques biologiques.

Les nations doivent concentrer tous leurs efforts pour éviter l’apparition, et a fortiori la réédition de virus contagieux et potentiellement mortels pour l’homme. 

Maintenant que l’on entrevoit les dégâts considérables du COVID-19, il est urgent de s’atteler à définir la meilleure façon de contenir les effets désastreux de tels poisons biologiques pour la santé physique bien sûr, mais aussi pour la prospérité de l’espèce humaine, et peut-être même sa santé mentale. 

Or, en matière de sécurité biologique, les prescriptions nationales ou internationales en vigueur ne concernent jusqu’à ce jour que les précautions à prendre par les laboratoires biologiques, ou encore celles concernant la prévention de la guerre biologique et ses effets.

Qu’a-t-il alors manqué au dispositif national et international pour mieux faire face à ce terrible coronavirus ?

Deux poids, deux mesures

Il est un domaine de l’activité humaine qui a fait l’objet, de longue date, d’une approche de sécurité globale : c’est celui de l’énergie nucléaire. De fait, les risques pour l’homme et l’environnement sont très importants, et le développement simultané des applications civiles et militaires depuis les années 1940 a permis l’édification d’une doctrine sécuritaire extrêmement poussée, en y consacrant dans les pays développés des moyens techniques, industriels et humains considérables. 

Le cœur de la sécurité nucléaire demeure l’analyse de sûreté, qui vise à démontrer non seulement que l’on prend toutes les précautions nécessaires pour éviter un accident technique ou humain, provoqué ou subi, mais que tout a été pensé pour en minimiser les conséquences s’il en survenait.

Nucléaire et biologique ont en commun l’aspect furtif et persistant du risque principal pour l’homme et qui porte le même nom : la contamination. Les mots pour le combattre sont aussi les mêmes : barrières, confinement, désinfection ou décontamination. Le temps et l’espace sont également des facteurs très importants, bien au-delà des conséquences d’accidents plus classiques comme ceux de transport ou d’un stock d’énergie, même chimique.

Mais des différences existent. Concernant le risque biologique : 

  • quelques tâches bien particulières sont assignées à Santé Publique France (confiées à une faible partie de ses 625 agents), dont la gestion de la réserve sanitaire (moyens humains) et des stocks stratégiques ;
  • quelques mesures spécifiques sont mises en place, comme le plan « pandémie grippale » (PPG) révisé en 2011 à la suite de l’épidémie H1N1 de 2009, et réalisé sous l’égide du SDGSN ; et bien sûr l’applicabilité du « plan blanc » (ORSAN) pour la mobilisation des moyens médicaux et hospitaliers (« l’offre de soins ») ;
  • les moyens d’alerte et de gestion de crise existent, et en particulier le CORRUSS créé en 2005 à la suite de la canicule de 2003, en conformité avec le Règlement Sanitaire International de l’OMS.

Cependant, autant dans le domaine nucléaire la prévention des risques et de leurs conséquences est structurée et argumentée par les résultats des études de sûreté faites a priori sous l’égide de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), autant, dans le domaine biologique, les réflexions équivalentes se résument à la rédaction de conseils ou consignes aux ministères, comme le PPG sus-cité. De plus, ledit plan, par ailleurs clair et avec une vision la plus exhaustive possible, a une portée limitée par l’hypothèse trop large « grippe plus ou moins sévère », et n’envisage pas réellement de mesures de confinement, pas plus qu’une pandémie effectivement mondiale. 

Des non-choix

Le même document permet de situer en France le COVID-19 dans un cas de mortalité « sévère », comme les grippes asiatiques ou de Hong-Kong de la fin des années 1950 ou 1960. Par contre, l’impact sociétal de ces crises fut respectivement « moyen » ou « réduit », alors qu’il peut être qualifié de « considérable » pour la crise en cours, bien plus encore que le mot « majeur » indiqué dans ce même PPG pour la grippe espagnole du début du XXème siècle, pourtant infiniment plus meurtrière.

Comment expliquer de telles appréciations ? Qu’est-ce qui donc a changé pour que l’ordre des valeurs ne soit plus le même ? 

De fait, les moyens d’information actuels n’ont pas réellement laissé le choix à ceux qui nous gouvernent : à partir du moment où le dilemme « du malade à sauver » risquait de devenir public, il n’était plus possible de retenir une autre voie que celle qui évite la saturation de l’offre de soin. C’est qu’il nous faut bien réaliser que, dans les crises précédentes, les autorités « étaient complètement démunies » comme le rappelle l’historien de la santé Patrick Zylberman, et ne pouvaient donc corriger la pandémie qu’à la marge, quand elles ne devaient pas aller jusqu’à choisir le laisser faire pour ne pas entamer le moral des populations ignorantes, comme ce fut le cas pour la grippe espagnole à la fin de la première guerre mondiale.

Avec la tyrannie de l’information à court terme, c’est l’inverse qui se produit aujourd’hui, et, de ce fait, l’angoisse collective se reporte sur la crise économique et sociale à venir et son cortège prévisible de misères. Précisément, la faute collective majeure – dans notre pays et dans le monde* – est d’avoir obligé à ces choix à cause d’une préparation et d’une disponibilité des moyens médicaux insuffisantes. 

Nous nous sommes trouvés ainsi acculés à décréter des mesures de confinement mal préparées, puis d’en sortir dans des conditions hasardeuses, avec un modèle de production et de distribution inapte à faire face, sans dommages économiques majeurs, à de telles situations, sans études préalables d’adaptation du système d’enseignement, sans solution de repli ménageant l’économie des loisirs et de la culture, ni de vision tempérée des transports, etc., nous précipitant ainsi dans la catastrophe que nous connaissons.

Protéger et limiter les effets de l’agression

  1. Prévention

La menace biologique n’est pas nouvelle mais elle est accentuée par la circulation débridée des biens et des personnes. Les virus accidentels comme le COVID-19 sont d’autant plus susceptibles d’échapper à son contrôle, que l’homme néglige son environnement et les équilibres entre espèces végétales et animales qui s’y développent. 

Pour contrer une telle menace à l’origine, la conférence internationale qui ne manquera pas de se réunir pour tirer des enseignements de la crise mondiale, devra obtenir l’adhésion des États au moins dans trois domaines :

  • Un engagement par Traité à éradiquer toutes les activités dangereuses, et à mieux surveiller les zones à risques, avec une totale transparence, par des inspections internationales. 
  • Un renforcement des moyens de l’OMS, des moyens d’alerte et de gestion technique de la lutte contre les corps biologiques scélérats.
  • Un effort mondial de R&D sur les outils de contrôle de contamination, et plus généralement de circulation de ces corps.

En Europe, et pour cette première partie du dispositif de « défense biologique », toutes les actions préconisées ici peuvent être sans difficulté déléguées par les nations au niveau de l’Union européenne qui aurait ainsi un poids considérable à la table des négociations, ainsi qu’une capacité de mobilisation de moyens scientifiques et humains au moins à l’égal des plus grands États.

S’unir contre : un moyen très efficace de se solidariser. 

2. Protection

Cependant, c’est bien au niveau national qu’il convient de porter l’effort pour « limiter les conséquences de tout accident », ce qui n’empêche pas de favoriser des coopérations ponctuelles entre pays européens. 

Une approche par la sûreté biologique doit être, en France, développée en priorité pour surmonter toutes les insuffisances constatées et rappelées ci-dessus. L’État doit compléter son organisation et les moyens afférents à partir des structures existantes elles-mêmes à renforcer :

  • sous la coordination du SGDSN, au nom du premier ministre,
  • au sein du ministère de la Santé (actuelle sous-direction veille et sécurité sanitaire)
  • au sein des ministères de l’Intérieur, de la Défense et de l’Économie,
  • dans les bureaux en correspondance au sein des autres ministères,

en créant de toute pièce un Institut de Sûreté Biologique (ISB) chargé de préparer la défense biologique du pays. 

Il s’agit plus précisément :

  • de faire des études d’évaluation de la menace en liaison avec les services compétents et de proposer des actions de prévention principalement à travers les instances internationales ;
  • d’étudier les crises passées – y compris dans d’autres pays – sous tous leurs aspects, sanitaires, économiques, sociaux, sociétaux, industriels, etc., afin d’en retenir un retour d’expérience formalisé ;
  • d’entretenir des scénarios de crise dimensionnant pour la préparation des moyens de prévention, de contrôle, de mesure et de suivi, ainsi que l’adaptation de l’offre de soin ;
  • d’entretenir des plans de mesures de « mise à l’abri » et de distance physique des populations pouvant aller jusqu’à différentes formes de confinement, en liaison avec des mises en configuration spécifiques de chaque secteur économique et des agents publics, préparées avec les ministères de tutelle concernés, et aussi avec les instances européennes pour la gestion des frontières ;
  • de booster nos méthodes de conduite des opérations de crise en leur fournissant des moyens d’aides à la décision bénéficiant des derniers développements technologiques (traitements big data, intelligence artificielle, tracking, etc.).

Pour l’exécution de sa mission, ledit ISB pourra s’appuyer en particulier sur les agences existantes du monde de la santé et leur propre réseau de moyens et compétences scientifiques. Dans les grandes occasions, l’État a su se doter des moyens nécessaires pour « changer de braquet ».

S’agissant de la protection du citoyen :

  • En matière de défense nationale, alors que la guerre froide menaçait l’équilibre du monde, la création d’une force nucléaire de dissuasion a justifié l’organisation d’une Délégation Générale pour l’Armement au sein du ministère, au détriment des moyens d’approvisionnement et d’expertise propres à chaque armée. C’est à cette DGA que nous devons en particulier l’entretien en France d’une « BITD » ou base industrielle et technologique de défense, déterminante pour l’autonomie stratégique du pays. Pourquoi ne pas inclure dans ladite BITD les besoins matériels stratégiques de la sécurité sanitaire, et donc ceux qui ressortiront des études du nouvel ISB ?
  • En matière de sécurité intérieure, terrorisme et radicalisation ont justifié une rénovation et un renforcement important de la mission de renseignement sur le territoire national, et ont encouragé l’innovation en moyens techniques d’identification. Comment ignorer toutes ces avancées lorsque nous sommes face à un besoin de dépistage rapide d’individus symptomatiques ? 

Nul doute que la crise gravissime dans laquelle nous sommes entrés provoquera des changements importants dans certaines priorités de l’État, puisque protéger le citoyen et préserver sa dignité sont, parmi les fonctions régaliennes, les premières de toutes. Les mesures suggérées ici ne prétendent pas rendre prévisibles de nouvelles surprises stratégiques. Mais elles paraissent absolument nécessaires pour pouvoir en atténuer les effets à court et moyen termes.

La rigueur et les moyens considérables dédiés à la sécurité nucléaire sont à relier au traumatisme créé dans l’opinion internationale par la vision des effets des bombes atomiques lancées sur Hiroshima et Nagasaki. Souhaitons qu’il ne soit pas nécessaire d’attendre de la menace biologique un choc d’ampleur comparable pour réagir à la hauteur de l’enjeu. 

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