« Macron utilise le grand débat pour construire sa campagne de 2022 », par Jacky Isabello

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Retrouvez l’article publié par Jacky Isabello dans le Huffington Post le 22 janvier 2019, via ce lien.

À Grand Bourgtheroulde puis à Souillac, le Président de la République a lancé la phase 1 du Grand débat national, sa réponse à l’éruption des gilets jaunes qui enflamme notre pays depuis plus de deux mois.

Alors que l’Elysée a atteint son premier objectif: celui d’imposer le grand débatdans l’agenda du pays, les « Pour » et les « Contre » s’expriment. Chaque camp avance ses arguments. Le sondage Ifop/JDD du 20 janvier indique une embellie pour Emmanuel Macron. Il regagne 5 points de popularité.

J’avance une nouvelle analyse. Ce débat peut être un moyen d’amorcer une désinflation dans la crise des Gilets jaunes. Mais il est avant tout une insidieuse façon pour le Président de construire une stratégie en vue de la campagne pour se faire réélire en 2022. Rien que ça! Alors que le Président est embourbé dans cette situation, alors que les manifestants ont été près de 84.000 à l’occasion de l’acte X, soit le même nombre que la semaine précédente, croire qu’il pense à 2022 relève de la pensée complexe voire de la folie. Pas certain.

Le Président a teinté sa pensée d’un taoïsme sinisant cher à Sun Tzu, stratège apprécié des politiques pour sa théorie de la transformation des crises en opportunité. Or quel meilleur outil qu’un Grand débat national pour élaborer un programme à l’élection présidentielle de 2022? Quels sont les indices qui éclaireraient d’une autre lueur cette théorie certes incroyable -mais Jupiter n’avait-il pas pensé son élection à la tête de l’Etat bien avant d’être désigné ministre par François Hollande?

Les faits: deux prestations retransmises intégralement par plusieurs chaînes de télévision ont montré un homme seul entouré d’édiles. Le décorum a replacé les bases qui ont fondé sa longue campagne victorieuse de 2017. Sa jeunesse et son endurance se sont imposées à travers cet exercice de près de 7 heures à chaque fois. Usant des anciennes techniques du mouvement Symboliste incarnées en termes de communication par Ferdinand de Saussure, le signifiant et le signifié de cette image de Macron montrent le chef de l’Etat mettant en scène le Grand débat national, non pas pour apporter des réponses aux questions que le peuple, les élus et les gilets jaunes se posent, mais pour déployer à des fins politiciennes les fondamentaux de la démocratie participative, premier acte pour confectionner un programme. Ce brillant intellectuel, fils des grands auteurs et de Machiavel, joue un coup d’échec invisible pour l’instant; puisque la foule haineuse dérange la parfaite horlogerie politicienne qu’il pensait dérouler durant les cinq années de son quinquennat, il prend sa revanche. En semblant offrir une proposition de sortie de crise avec ce grand débat, il a recours aux forces de l’industrie numérique pour se relancer et accroître sa valeur sur le marché. Dans le numérique les plateformes, connues aussi sous l’intitulé GAFAM, se servent de nous pour bâtir leur contenu et accroître leur valeur. On parle de « User generated content ». L’utilisateur bénéficie gratuitement de services. En échange il crée des contenus, il offre ses données personnelles. Le père de la « Start-up nation » fait de même, sous notre nez et avec notre imprimatur.

N’a-t-il pas commencé à sonder plus de 1200 maires afin de connaître leurs désirs secrets; via les reproches qu’ils ont formulés, parfois sans retenue, avec sincérité, il s’offre à moindres frais ce qu’aucun outil de marketing politique ne pourrait absorber.

Comment bâtir un programme? Désormais seules aux manettes après l’échouage programmé de la CNDP, les troupes du Président vont sonder les réponses des Français et décrypter les doléances remontées des débats qui vont s’organiser partout en France. Puis les aveux, les confessions, reproches et doléances seront tamisés à la moulinette de la géographie politique (ici on vote pour telle ou telle offre politique) afin d’offrir lors de la campagne 2022 les propositions qui chuchoteront au « Moi freudien » de chacun pour qui voter, car on aura su quoi dire à l’électeur.

D’autres indices: le Président est retombé sur ses pieds pour la première fois depuis six mois après l’explosion Benalla et les divers effets de blasts successifs, dont les Gilets jaunes, qui ont dévasté l’immeuble de la « macronie ». Le Grand débat a remis le chef de l’Etat en situation de proactivité. Avec cette proposition d’échange, faite au mitan du mois de décembre, il impose l’agenda médiatique à l’ensemble des parties prenantes, Gilets jaunes, oppositions et médias. Celui que les médias ont aimé surnommer « le marathonien de l’Eure », jouant avec cette épreuve reine issue de la première guerre médique, offre sa puissance charismatique, chère au sociologue Max Weber, et redore, en quelque sorte, son autorité. Nombre d’éditorialistes, inconsciemment fascinés par son panache et le tour de force de ce double exercice face aux Maires, ont d’ailleurs comparé cette « performance » à celle accomplie lors de la campagne présidentielle. Chacun s’accorde à noter le bourbier dans lequel se trouve le gouvernement incapable d’exécuter le calendrier des réformes promises. Toutefois, nous sommes attirés par la lumière du tribun, du rhéteur, celui qui avait hypnotisé les foules durant la campagne de 2017. S’il ne peut réformer, il retourne sur son terrain, celui de la campagne et de l’exaltation qu’elle offre parfois.

Je rejoins l’analyse de Bruno Latour professeur au « Médialab » à Sciences Po; de ce grand débat il ne peut sortir rien de bon car nous confions au peuple la mission de donner des réponses. Il rappelle que la société est complexe. Le pouvoir s’exerce dans ce que Alexandre Viala (professeur de droit public à l’université de Montpellier) désigne par le terme « épistocratie », c’est-à-dire un mode de gouvernement au sein duquel le pouvoir est confié aux savants. Ainsi, il faudrait attendre du peuple non pas les solutions mais la description de leurs liens d’intérêts au quotidien pour bâtir ensuite les réponses. À quoi bon faire un grand débat si ce n’est pour demander à la « foule haineuse » et à sœur aînée, celle qui reste la plus nombreuse, ce qu’elle souhaite se voir affirmer lors des prochaines échéances électorales? Est-ce le profond désir du Président? S’il est réel il serait génial d’un point de vue électoraliste, mais destructeur à terme pour la démocratie!

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