Journal des Futurs #53 – Crise sanitaire du Covid-19 : Comment passer du stade de la réaction à celui de l’anticipation ?

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La crise sanitaire liée au Covid-19 commençait il y a un an. Une crise d’une ampleur et d’une durée inédites, qui bouscule nos existences, accélère bien des tendances et transforme en profondeur notre « vieux monde ».

Une année déjà que nous en subissons tous les conséquences, et notamment celles liées aux multiples privations de liberté et à la mise à l’arrêt totale ou partielle de nombreuses activités familiales, personnelles, économiques, sociales, culturelles et sportives.

Une année que nous subissons cette crise, au gré de la pandémie, de ses rebonds et des mutations du virus. Personne ne sait quand elle se terminera, certains pensent même que nous sommes entrés dans un cycle de répétition annuelle du Covid, sous des formes chaque fois nouvelles.

Dans le même temps, chacun devrait voir et comprendre qu’il n’est plus possible de placer de façon régulière, avec plus ou moins d’intensité et de durée, nos vies et les activités humaines sous cloche. Et ceci d’autant plus, que le monde se fracture en deux catégories très préoccupantes :

  • les pays qui continuent de subir la crise, accumulent les difficultés et accroissent la pauvreté et la misère (dont la France),
  • les pays qui ne sont pas, peu ou plus concernés et qui en tirent un avantage décisif (la Chine, notamment).

Dès lors, il ne peut y avoir de plus grande urgence pour notre pays que de trouver une façon durable de « vivre avec » le virus SARS-CoV-2 (et ses variants), et non pas de survivre malgré lui, qui permette à chacun de travailler, de sortir, de se déplacer, de voir les siens, de se cultiver et aussi de… profiter un peu de la vie. Une vie normale, en quelque sorte. Une vie qui permette une reprise générale et rapide de l’ensemble des activités économiques, avant que les conséquences de cette annus horribilis ne soient trop dramatiques ou qu’elles n’aboutissent, à force de durée, au sacrifice d’un très grand nombre d’entreprises et d’emplois.

Cet enjeu majeur justifie d’interroger la stratégie du Gouvernement – tester – alerter – protéger – et d’y ajouter, si c’est possible, un quatrième verbe : ANTICIPER. A l’appui de cette nécessité : la permanence des incertitudes et des revirements scientifiques, le peu de fiabilité des données actuelles et la faiblesse des modèles de prévision.

L’anticipation nous permettrait de conjurer cette apparente fatalité qui plane sur la gestion de la crise sanitaire et place notre pays, et d’autres, en situation de subir. Bien sûr, les vaccins semblent présenter un début d’espoir, en formant une barrière invisible qui protègerait des infections graves, en particulier les personnes les plus vulnérables. Mais qu’en sera-t-il avec les variants actuels et futurs du SARS-CoV-2, ou avec un autre virus ? En outre, il n’y a pas un vaccin mais une bonne dizaine qui circulent déjà. Aucun ne possède les mêmes propriétés – de l’un à l’autre, les technologies sont très différentes – et qui sait quels effets cela produira sur les multiples virus du SARS-CoV-2 et leur faculté d’adaptation naturelle.

Par ailleurs, l’ensemble du dispositif actuel de veille présente des failles et des insuffisances. Car les tests nasophariyngés ou salivaires ne seront jamais que des photographies très partielles, floues et déjà datées de la présence du virus en population générale, que ce soit à l’échelle d’une ville ou d’un pays. Accessoirement, ces tests coûtent très cher à la collectivité – plus de 4 milliards d’euros en année pleine –, et il faudrait que l’ensemble de la population s’y soumette chaque semaine pour qu’un vrai pilotage de la crise soit assuré. Or, c’est impossible et cela confirme qu’il faut changer de stratégie, ou pour le moins, la faire évoluer sans plus tarder. D’autant que la nature des coronavirus, parce qu’ils sont dotés d’un fort, et rapide pouvoir d’évolution, nécessite que nous disposions de moyens agiles et territoriaux pour les traquer.

Une fois de plus, il se pourrait bien que la solution vienne du terrain, en l’occurrence, de Marseille. 

Il y a un an, de sa propre initiative, le Bataillon des marins pompiers de Marseille a développé une méthode de veille à partir de l’analyse de prélèvements en eaux usées. Comme tout le monde se lave et utilise les toilettes, les échantillons prélevées sont de fidèles reflets d’une situation épidémiologiques à un endroit et à un moment donnés.

En pratique, dans une ville, ces prélèvements sont d’abord réalisés en sortie des collecteurs principaux et, lorsqu’un virus – ou un variant ou un nouveau virus – est détecté, une « escalade » est aussitôt réalisée pour remonter de sous-collecteur en sous-collecteur, jusqu’à identifier la zone infectée. Comme chaque analyse d’échantillon prend moins d’une heure – grâce aux cellules mobiles d’intervention biologiques – l’action de terrain est très rapide. Ensuite, à la façon des enquêteurs de la police scientifique, les marins pompiers effectuent des prélèvements surfaciques, grâce auxquels ils parviennent à identifier l’élément contaminant et l’isoler le cas échéant.

La pertinence du travail ainsi réalisé à Marseille en 2020 a conduit d’autres villes à faire appel aux marins pompiers pour analyser leurs eaux usées (Nice, Toulon, Briançon, Gap, Avignon, Pau, etc.).

En février 2021, sur ordre du Président de la République, le Bataillon des marins pompiers de Marseille et son réseau COMETE* ont été dépêchés en Moselle lorsque l’épidémie paraissait hors de contrôle. En moins de deux jours, les autorités locales disposaient de la cartographie « SARS-CoV-2 et variants » au sein du département, ce qui a permis au ministre de la Santé, lors de son déplacement mosellan, de décider de ne pas confiner la population.

De façon très opérationnelle, les marins pompiers ont pu délivrer au préfet et au responsable de l’ARS une vision macro de la situation tout en agissant de façon « chirurgicale ». Retour sur image :

  • 10h : un prélèvement en eaux usées à la sortie d’un EHPAD analysé grâce à un système rapide (20min) embarqué dans un véhicule de l’Unité est signalé positif.
  • 14h : le dispositif passe en alerte sur l’établissement et une opération de recherche surfacique est lancée. L’établissement est sectorisé et des prélèvements sont réalisés sans impliquer les pensionnaires ni le personnel de l’établissement.
  • 15h : l’intervention permet d’identifier que le local de préparation de repas est contaminé. Les personnels accédant à ce local sont testés.
  • 16h : un membre du personnel est contaminé et isolé.
  • Bilan : En quelques heures, un cluster a été potentiellement évité dans un établissement critique et ce grâce à une méthode agile et collective.

Dans la foulée de la Moselle, les marins pompiers ont été envoyés le 19 février à Dunkerque, à la demande de l’ARS Hauts-de-France, après accord du ministère de l’Intérieur, et là encore, il a suffi d’une trentaine d’heures pour disposer d’une vision précise de la présence du SARS-CoV-2 et de ses variants, quartier par quartier et pour chaque EHPAD.

L’intérêt de cette approche mise en œuvre à Marseille avec succès depuis un an est donc multiple. Elle permet :

  • d’appréhender la réalité de la façon la plus fine possible et de mettre à jour la vision aussi fréquemment que nécessaire (une à plusieurs fois par semaine) ;
  • de prévenir le déclenchement d’une chaine de contamination au sein d’un établissement sensible ou d’un territoire en isolant suffisamment tôt de leur environnement les personnes contaminées et en particulier celles qui s’ignorent ;
  • de dimensionner la réponse dans le temps et l’espace rapidement et avec précision. Et ainsi d’éviter de fermer tout un pays, une région, un département ou une ville à chaque menace… ;

De surcroît, cette méthode présente deux autres grands avantages. D’une part sa facilité et sa rapidité de déploiement au plan national grâce au réseau des SDIS (dix jours devraient suffire). Et d’autre part, son faible coût : un suivi hebdomadaire de l’ensemble des départements français est évalué à une cinquantaine de millions d’euros par an.

Nous sommes donc fondés à nous demander pourquoi aucun déploiement national n’a été décidé. Lorsque viendra enfin le temps du Retex – retour d’expérience chez les militaires – de cette crise, de nombreuses se poseront. N’en retenons que trois :

  • Pourquoi cette initiative ne fait-elle pas l’objet d’une étude sérieuse et transparente en vue de son utilisation massive, ou bien de son abandon en cas d’inopérance ?
  • Pourquoi ne confie-t-on au ministère dont c’est le métier la gestion de cette crise ? Car c’est bien aux services de la place Beauvau, corps préfectoral en tête, de faire face à ce genre de situation. Non seulement il s’agit de leur métier, mais en plus, ces services sont formés – et payés – pour cela !
  • Pourquoi personne n’interpelle-t-il le Gouvernement sur ces deux questions ?

Reste à espérer que le bon sens l’emportera et que les plus hautes autorités politiques du pays parviendront à reprendre la main sur ce qui semble leur échapper – l’administration et sa nébuleuse santé – afin de développer le système d’anticipation et de gestion qui nous permette enfin de vivre normalement avec ces virus.

Alexandre Malafaye
Président de Synopia

* Le réseau COMETE est une initiative développée à Marseille par l’Unité COMETE (unité d’élite NRBCE de la Sécurité Civile) du Bataillon de Marins-Pompiers de Marseille visant à transmettre aux territoires une méthode collective et agile de veille et d’alerte (surfacique et eaux usées), particulièrement adaptée à la gestion de la crise sanitaire.

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