« Transports publics franciliens : et si la gratuité était payante ? », par Alexandre Malafaye

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La semaine qui vient de s’écouler a été le théâtre d’une nouvelle polémique, provoquée par Anne Higalgo, sur son idée de gratuité des transports publics pour les Parisiens. Sitôt son annonce faite, une bronca de réactions s’est faite entendre. Pour fustiger l’électoralisme de la proposition – mais si on ne formule pas de nouvelles idées avant une élection, quand le fait-on ? – et pour lui opposer d’emblée la question du financement. Circulez, en payant bien sûr, il n’y a rien à voir ! Peu de voix, en revanche, se sont faites entendre pour réfléchir à l’idée elle-même et ce à quoi elle renvoie. Il est vrai que Madame Hidalgo aurait pu éviter d’annoncer en même temps l’ouverture d’une réflexion, confiée à des proches, et les conclusions. Mais pourquoi diable se précipiter à apporter des réponses alors qu’il importe d’abord de poser les bonnes questions ? Pourquoi enflammer immédiatement le débat, se faire carboniser en retour et figer les positions de chacun ?

Car derrière cette réponse précipitée, se cache une multitudes de questions essentielles, qui dépassent, et de loin, le seul enjeu des voitures à pétrole. Voilà des décennies que les citadins, et tout ceux qui n’ont pas eu d’autres choix que de rejoindre la très grande agglomération parisienne, subissent la ville et ces innombrables nuisances. Des conditions de vies difficiles, parfois à la limite du supportable. Un urbanisme galopant, brutal et déprimant. Toutes ces pollutions qui asphyxient et minent le moral. Une irascibilité croissante, des transports urbains capricieux avec des agents à la limite de la bonne éducation. Un immobilier hors de prix ; se loger devient un luxe. Le matraquage des automobilistes et ces embouteillages à n’en plus finir. Sans oublier l’insécurité, les rats, etc. Ce n’est donc pas un hasard si Paris ne se classe qu’au 40ème rang des villes les plus agréables au monde1.

Pour des millions de Franciliens, le quotidien ressemble au récit d’un jeune collaborateur de banque qui travaille à Paris et habite Evry. La veille de la grève du 22 mars, il a mis quatre heures pour rentrer chez lui (encore et toujours des problèmes avec le RER D), et le lendemain, faute de train, il a été contraint de venir en voiture pour ne pas perdre le fruit d’une journée de travail. Bilan carbone et financier de sa journée : plus de trois heures au volant et des litres de carburant brûlés, quinze euros de parcmètre et trente euros d’amende pour stationnement dépassé car bien sûr, il n’avait pas le nez rivé sur sa montre, ce qui n’est pas le cas de l’entreprise choisie par Paris, qui verbalise plus vite que son ombre. Bienvenue dans un monde résolument moderne.

Ecrasés par le fatalisme et cette tendance naturelle à l’apathie de masse, tels des moutons, nous subissons la ville, résignés. Quant aux élus, ils ne font rien. Ou si peu. Et si lentement. Avec ses armes, la Maire de Paris tente d’agir. Mais sa manière fait réagir ; son manque de concertation, son enfermement idéologique apparent et sa conception insulaire de Paris la placent aussitôt sur le terrain des seuls rapports de force, de l’opposition hostile et du clivage.

Face à des réalités de plus en plus préoccupantes, le temps est peut-être venu de remettre de l’ordre sur la façon de penser en politique. Pour reprendre ce que disait Michel Rocard, la plupart des problèmes sont désormais complexes, tant de choses étant imbriquées les unes dans les autres, et il ne peut leur être apportés que des solutions complexes. En acceptant le temps long, ce qui signifie de ne plus regarder les problèmes par le petit bout de la lorgnette. Et donc ne pas lorgner sur le prochain scrutin.

Ainsi, avant d’évoquer une possible gratuité des transports publics à Paris, il eut été souhaitable de proposer l’organisation de véritables assises de la Région parisienne, auxquelles seraient associés les Franciliens. Leurs sorts sont mêlés, et le périphérique ne constitue ni une frontière géographique, ni une ligne de démarcation entre des intérêts divergents. Cette communauté de destins ne devrait-elle pas conduire à penser – enfin – l’homme dans la ville ? Pour le replacer au cœur des enjeux et du siècle. Pour ne plus vivre sous le joug d’un sentiment dominant. Subir. Toujours subir.

Quelle ville voulons-nous ? Quel urbanisme, quelles mobilités, quels services, quel environnement ? Et dans le cadre des réflexions sur les mobilités, la qualité des transports publics mériterait d’être abordée. Collectif ne veut pas dire bétail ! A la longue, les usagers sont… usagés. Miser sur la gratuité des bus, des métros et des RER peut séduire. Mais il ne serait pas non plus inutile d’investir sur leur climatisation. Et de veiller à leur régularité. La qualité de vie au quotidien commence par là.

De ces assises, un projet fédérateur pourrait naître. En mutualisant les moyens et en faisant preuve d’ingénuité et de raison, tout devient possible, y compris la gratuité qui constitue l’un des instruments des politiques publiques. Rien de nouveau sous le soleil. Ainsi, en région parisienne, les routes et les ronds-points, en dépit de leur coût, sont gratuits. La gratuité peut donc se révéler payante. Alors avant de trancher la question, il conviendra de bien poser les termes de l’équation, en prenant tous les paramètres en compte, de l’emploi au tourisme, en passant par le respect, la culture et bien sûr, la part payée par l’usager. Il ne supporte qu’un quart de la facture des transports publics en Ile de France (2,8 milliards d’euros sur 10). Compte tenu de l’évolution des politiques de solidarité2 et des dizaines de milliards d’investissements à venir qu’il ne sera pas aisé de faire supporter aux usagers, cette part va se diluer un peu plus chaque année.

Nous savons hélas que de telles assises de la Région parisienne relèvent de l’utopie. D’abord pour des raisons élémentaires de gouvernance. Dans le cockpit de l’avion francilien, la bataille pour les commandes est permanente. Bien malin qui s’y retrouve, entre les 1276 communes (dont Paris) et les 64 intercommunalités (dont le Grand Paris), les départements (avec la distinction entre petite et grande couronne), et la région. Le pouvoir est dilué et le bazar patine au grand dam d’une multitude au bord de l’exaspération. Mais pourquoi les élites s’affoleraient-elles ?

Ensuite, dégagisme ou pas, quelque soit l’enjeu, il semble bien que la politique ne parvienne à dépasser ni les questions de personnes, ni l’horizon des scrutins. Et de fait, une bonne idée d’Anne Hidalgo ne peut être bien accueillie par aucun de ses challengers directs ou indirects. Les Franciliens, dans le fond, on s’en moque. Ce qui compte, c’est la prochaine victoire électorale, et tant pis s’il faut s’interdire d’ouvrir les bons débats, ou tuer une bonne idée.

Une fois de plus, viendra le jour où l’État sera contraint de reprendre la main. Et comme de bien entendu, ce jour là, tout le monde s’insurgera, pour réclamer plus de subsidiarité. Cherchez l’erreur.

 

  1. Résultat de l’étude 2018 du Cabinet Mercer.
  2. A Paris, les personnes âgées disposant de moins de 2 200 € de revenu mensuel vont bénéficier d’un pass Navigo gratuit.
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