Le « droit à être bien gouverné » : leçons est-européennes, par Florent Parmentier

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Florent Parmentier, maître de conférences à Sciences Po, vient de publier Les chemins de l’Etat de droit. La voie étroite des pays entre Europe et Russie, Paris, Presses de Sciences Po, 2014.

Texte au format PDF : Synopia – Leçons est-européennes pdf-icon

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A première vue, le « droit à être bien gouvernés » que propose Alexandre Malafaye semble être un magnifique sujet de culture générale pour les futures élites de la nation ; il n’est qu’à convoquer les théoriciens du Contrat social (Hobbes, Locke, Rousseau), à célébrer l’équilibre des pouvoirs pour y parvenir (Montesquieu), ou encore à en appeler au contrôle citoyen (Alain) pour tenter d’y répondre. On touche pourtant à la condition même du vivre-ensemble, et à s’en éloigner trop, c’est la démocratie qui est en danger.

En effet, plus qu’un sujet de culture générale, c’est le sujet de préoccupation brûlant pour l’auteur de (Re)prenons le pouvoir. Manifeste pour notre droit à être bien gouvernés. L’ouvrage n’est certes pas le premier à critiquer le fonctionnement de notre système politique, qui manque profondément d’audace, et refuse de réformer la France pour la moderniser… alors même que le monde ne l’attend pas. Face au malaise français actuel, palpable dans l’opinion publique, l’auteur revendique « un droit qui, une fois n’est pas coutume, contraindra les gouvernants – et non les gouvernés – à mieux gérer les affaires du pays et à davantage privilégier l’intérêt général, le long terme au lieu des seuls intérêts partisans et des échéances électorales à venir » (p.15-16).

Ce qui est en jeu n’est pas seulement l’efficacité de l’Etat : l’ouvrage dénonce nombre de nos incohérences et de nos faiblesses qui finissent pas saper le moral de la population, qui comprend individuellement le besoin de réformes à condition de commencer par le voisin. On peut le déplorer, mais « La France est devenue une constellation de minorités plus ou moins grandes et puissantes, organisées en baronnies agissant au profit exclusif de ses partisans » (p.41). Des solutions existent pourtant. Ainsi, devant cette situation, il convient urgemment de « décloisonner notre société, de jeter des passerelles entre tous les silos, d’ouvrir des portes dans les murs avant d’espérer les renverser » (p.42).

Cet absence actuelle de résultats engendre un problème tout aussi grand : celui d’une crise de légitimité, qui a son tour réduit l’efficacité des politiques menées, rendues inaudibles. La spirale négative semble s’entretenir, sans vraiment pouvoir être freinée. Le non-respect du « droit d’être bien gouvernés » inflige à notre vie démocratique une blessure profonde et durable, marquée par une démobilisation générale et le choix des extrêmes.

A quoi cette absence de résultats peut-elle bien nous conduire ? C’est précisément là que d’autres exemples européens doivent nous faire réfléchir. Sans le respect du « droit d’être bien gouvernés », c’est-à-dire la combinaison de l’Etat de droit et de l’idéal démocratique, des sociétés peuvent basculer.

Les crises d’efficacité et de légitimité des gouvernants ne sont certes en aucun cas une spécificité française. En effet, aux marges de l’UE, en Ukraine, c’est précisément pour réclamer leur droit à être bien gouvernés que des dizaines de milliers de citoyens sont descendus sur la place Maïdan en novembre 2013. Face à un Président sans contre-pouvoirs, une corruption généralisée et des oligarques bien présents, un puissant mouvement populaire s’est constitué. Le gouvernement alors en place a espéré une lassitude du mouvement, puis a tenté de reprendre le contrôle par la violence. Sur fond d’instabilité politique, de vieilles fissures sont réapparues ; après la destitution de Viktor Ianoukovitch, la tentative de revenir sur la loi sur les langues minoritaires le 22 février 2014, alors même que l’heure aurait dû être à la concorde, a profondément révolté une partie des Ukrainiens de l’Est. Jusqu’au déraillement, à la rupture et au conflit, provoquant des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés sous nos yeux…

Que dire alors de la Hongrie, un Etat-membre à part entière qui, en outre, a longtemps fait figure de pays modèle, à même de tirer efficacement son épingle du jeu ? Les Européens détournent parfois pudiquement la tête sans regarder de près la situation politique du pays. Qu’on en juge : l’ancien jeune libéral est devenu un conservateur à l’accent autoritaire. C’est le premier dirigeant d’un Etat-membre de l’UE à se réclamer d’une « démocratie illibérale », prenant pour modèle la Chine, la Turquie, la Russie ou Singapour, qui ne passent pas pour des modèles d’Etat de droit. Si les citoyens ont choisi de suivre Viktor Orban en lui donnant une majorité lui permettant de changer seul la constitution, c’est qu’ils ont été échaudés par les déconvenues précédentes du système politique. Il n’est qu’à se souvenir des grandes manifestations de 2006, qui faisaient suite à des aveux de mensonge dérobés du Premier ministre en exercice. Cela s’est ajouté au sentiment d’abandon que les citoyens éprouvaient vis-à-vis de leur classe politique, perçue comme déconnectée des réalités sociales ; coupure qui a mené à se livrer à un homme providentiel dont le comportement incommode la plupart de ses partenaires étrangers…

L’Ukraine n’est pas un exemple éloigné ; c’est un grand pays à la frontière de l’UE. La Hongrie est quant à elle de surcroît un Etat partenaire au sein de l’UE. On pourrait évoquer bien d’autres exemples, mais ils se rejoignent pour l’essentiel sur le message suivant : le temps de la réflexion et celui de l’action sont devant nous, il faut commencer les travaux sans plus attendre.

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