Journal des Futurs #96 – Israël une nouvelle fois à la croisée des chemins

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Retour d’expérience et enseignements du voyage avec le Crif

Jean-Claude Mailly, Éric Danon (Ambassadeur de France en Israël),
Alexandre Malafaye et Yonathan Arfi (Président du Crif)

INTRODUCTION & CONTEXTE

Du 7 au 10 mai 2023, Jean-Claude Mailly, Vice-président de Synopia et moi avons fait partie de la délégation d’une vingtaine de think tanks français1 qui ont participé à un voyage d’études en Israël organisé par le Crif (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France).

Plusieurs sujets majeurs pour Israël et son avenir ont été explorés :

1. L’actuel projet de réforme de la Cour suprême qui touche à son indépendance et risque de limiter sa fonction essentielle d’unique contre-pouvoir.

2. Le danger que représente la polarisation accrue de la vie politique et le rôle croissant de la société civile qui entend elle aussi s’ériger en contre-pouvoir du gouvernent et de la Knesset.

3. L’engagement des femmes de toutes confessions en faveur de la paix et de la cohésion de la société.

4. Le modèle économique ultra-libéral performant de la nation israélienne mais générateur de pauvreté et d’inégalités croissantes.

5. Les enjeux de sécurité et de défense, l’échelle régionale mais également en lien avec le confit entre la Russie et l’Ukraine.

6. Les relations internationales d’Israël et sa « doctrine », avec le Proche et le Moyen-Orient, la France, l’UE, les USA, la Chine, la Russie, etc.

7. La prospective démographique : la population d’Israël pourrait passer de 9,5 millions d’habitants à 17 millions en 2050.

8. Le réchauffement climatique et ses conséquences, y compris en termes de synergies nouvelles avec les pays frontaliers d’Israël (eau, agriculture etc.).

La délégation a rencontré une quinzaine d’interlocuteurs et notamment : Éric Danon, ambassadeur de France en Israël, Daniel Saada, ancien ambassadeur d’Israël en France, Arkady Mil-Man, ancien ambassadeur d’Israël en Russie et en Azerbaïdjan, le Brigadier général (Res.) Assaf Orion (INSS Israel), le Professeur Denis Charbit (The Open University of Israel), le journaliste Dror Even-Sapir (I24News), Gilles Darmon, Chairman and Founder of LATET – Israeli Humanitarian Aid.

Une visite du Centre Shimon Peres pour la paix et l’innovation (The Peres Center for Peace and Innovation), installé à Jaffa, a également été organisée, ainsi qu’à l’Université Ben Gourion de Beer Sheva.

De ce voyage remarquablement organisé par le Crif, nous pouvons tirer de très nombreux enseignements, en particulier sur les questions de gouvernance chères à Synopia.

En préambule, il est utile de rappeler qu’Israël est une démocratie parlementaire monocamérale avec scrutin à la proportionnelle intégrale et se définit comme « l’État-nation du peuple juif » (formulation de la loi du 19 juillet 2018). Ce n’est pas une république et il n’y a pas de constitution. C’est un pays qui reconnaît les différentes communautés qui le composent.

Créé en 1948 et reconnu par l’ONU la même année, Israël a célébré ses 75 ans le 14 mai 2023. Par comparaison avec ce que nous connaissons sur le Continent européen, il s’agit d’un très jeune état de droit qui, il ne faut jamais l’oublier, a connu 5 guerres entre 1948 et 1982 (1948 : Guerre d’indépendance ; Crise de Suez de 1956 ; Guerre des Six Jours en 1967 ; Guerre du Kippour en 1973 ; Guerre du Liban en 1982). Depuis, c’est le conflit israélo-palestinien qui perdure (avec les intifadas et la bande de Gaza) et dont les causes et ramifications sont multiples.

Sur le plan géographique, la superficie d’Israël est de 22 000 Km2 (4 % du territoire français) et sa population atteint maintenant 9,5 millions d’habitants (soit une densité élevée de 435 habitants par Km2. Par comparaison, la France métropolitaine compte environ 120 habitants par Km2). Très étroit (de 15 km à 135 Km au plus large), le pays s’étend sur 470 km, de la frontière avec le Liban (Nord) au bord de la Mer Rouge (Sud). Ses frontières touchent également l’Égypte, la Syrie et la Jordanie.

Son territoire étant auparavant sous contrôle britannique dans le cadre des accords Sykes-Picot (1916), le système judiciaire israélien reste influencé par la common law, mais son droit intègre d’autres sources (ottomane, juive, musulmane, etc.). En l’absence de constitution, un certain nombre de lois fondamentales organisent la vie démocratique et les libertés. Le système judiciaire comporte trois niveaux : première instance, le tribunal de paix (ils sont répartis sur tout le territoire), appel avec le tribunal de district (il y en a six), et enfin cassation avec la Cour suprême (basée sur une colline à Jérusalem, juste en face de La Knesset). 

Depuis 1948, la séparation des pouvoirs constitue un principe souverain et la justice est indépendante, mais nous y reviendrons plus loin car un récent projet de réforme menace cette indépendance. 

L’essor économique d’Israël a commencé au milieu des années 1980 après que Simon Peres, alors Premier ministre, ait mis en œuvre une série de réformes destinées à libéraliser le marché. Cette ouverture à l’économie de marché a porté ses fruits. Classé au 29° rang mondial en 2022, le PIB d’Israël dépasse 500 milliards de dollars, devant l’Égypte et les Émirats Arabes Unis. Par habitant, le PIB se situe aux environs de 52 000 $ (22° rang mondial), devant l’Allemagne, le Royaume-Uni ou… la France (43 000 $). Le cœur de l’économie israélienne repose sur sa « Silicon Valley », ses 6 000 start-up et la recherche et le développement (supérieur à 4 % du PIB), ainsi que le tourisme et les services.

Venons-en aux quelques leçons et enseignements que nous pouvons retirer de ce séjour et commençons par la situation politique intérieure.

UNE SITUATION POLITIQUE ET DÉMOCRATIQUE A HAUT RISQUE

Allié aux partis ultranationalistes et religieux, Benjamin Nétanyahou (chef du Likoud), l’actuel Premier ministre (revenu au pouvoir fin décembre 2022), cherche à imposer une réforme du système judiciaire qui permettrait à la Knesset (le parlement) de casser une décision ou un arbitrage de la Cour suprême. Autrement dit, cette réforme, si elle était adoptée, remettrait en cause la séparation des pouvoirs et surtout, elle ne permettrait plus à la Cour suprême de jouer son rôle d’unique contre-pouvoir face à un système politique peu transparent et peu ouvert. Le pouvoir politique aurait également la haute main sur la nomination des juges.

La confortable majorité coalisée dont il dispose à la Knesset donne à Benjamin Nétanyahou la possibilité de faire adopter cette réforme, mais depuis qu’il a présenté son projet, en janvier dernier, un autre contre-pouvoir se fait jour, celui de la société civile. Chaque samedi, ce sont des dizaines voire des centaines de milliers d’Israéliens qui manifestent dans tout le pays pour défendre le système actuel. Il s’agit là d’un phénomène nouveau pour Israël et très intéressant à  observer, celui du réveil de la société civile et de sa volonté bien réelle de peser dans les débats et d’obliger le pouvoir politique à composer et à réfléchir avec elle.

Mais par-delà l’enjeu démocratique, ce qui se passe actuellement en Israël met en lumière une polarisation politique accrue et des formes de radicalisation entre les différentes communautés juives qui menacent les fondements du « vivre ensemble ». Il faut en effet comprendre que la société israélienne est très composite et traversée par des tensions contradictoires qu’il faut en permanence chercher à concilier. Les différences sont en effet profondes entre les ultra-orthodoxes, les orthodoxes, les nationalistes, les libéraux, les travaillistes, les colons, les séculiers, ceux qui viennent d’Europe centrale, de Russie, ou encore d’Afrique du Nord, ou encore ceux qui sont arrivés après 1948 et ceux qui étaient là avant, etc., mais jusqu’à présent, chacun acceptait de faire des compromis et pouvait « vivre avec » l’autre, tant que c’était réciproque et que chacun s’engageait à préserver le caractère fondateur du système, à savoir la maintien d’un État de droit juif mais pluraliste et vraiment démocratique.

Il est ici très intéressant de relever qu’en Israël comme ailleurs en Europe ou sur le continent américain, nos démocraties voient se confronter des camps de plus en plus opposés les uns aux autres, au point d’en devenir incapables de se comprendre. Bloc contre bloc, les affrontements sont de plus fréquents et deviennent violents.

Au travers de ces différentes crises, nous voyons que chacun propose – ou veut imposer – sa conception de la démocratie. Nous constatons aussi que dans beaucoup de pays démocratiques, la tentation des gouvernants à rechercher la limitation des contre-pouvoirs va en croissant. Les uns sont galvanisés par leur hubris et les autres prêts à toutes les compromissions pour se maintenir aux affaires. Et parfois les deux en même temps. Cela se fait de façon plus ou moins visible, par exemple avec le jeu des nominations au sein des instances judiciaires suprêmes, ou de façon plus grossière dans les démocraties devenues illibérales (censure des médias, restrictions des droits, manipulations électorales, recours à la désinformation de masse, etc.). Mais à chaque fois, l’intention reste la même, exercer le pouvoir de la façon la plus absolue, ou la moins entravée, le plus longtemps possible.

En revanche, et bien que les effets soient assez similaires, les causes sociales et sociétales sont bien souvent peu comparables. Par exemple, sur la question du modèle de société, si l’on compare Israël et la France, une différence majeure est à relever : alors que nous sommes plutôt traversés par une forme de déshérence identitaire, l’État hébreu voit monter un véritable conflit intérieur sur la nature même de son identité, certaines communautés rejetant le modèle fondateur (Israël est l’état démocratique du peuple juif) pour le transformer en un État placé sous le joug d’influences radicales (nationalisme, religion, etc.).

Quoi qu’il en soit, nous devons tous prendre garde et ne pas trop jouer avec le feu et les mots car cette période particulièrement complexe et troublée pour nos démocraties est caractérisée par un flou grandissant sur ce que nous sommes, ce que nous faisons et ferons ensemble et qui a très bien été décrit par Antonio Gramsci : « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Si seulement nous étions parvenus au stade de tirer des leçons de l’Histoire… 

Toujours sur le plan intérieur, intéressons-nous maintenant à la situation démographique et sociale.

DES ENJEUX DÉMOGRAPHIQUES ET SOCIAUX MAJEURS

En 1948, Israël comptait 600 000 habitants. En 2023, les Israéliens sont 9,5 millions, dont 2 millions de non juifs (majoritairement Arabes israéliens (musulmans pour la grande majorité), mais aussi Chrétiens, Druzes, Bédoins, etc.). Ce qui représente un coefficient multiplicateur de 16 en 75 ans. Peu de pays dans le monde ont eu à faire face à une telle croissance dans un temps si court.

À ces chiffres, viennent s’ajouter ceux des populations de Cisjordanie (3,2 millions) et de Gaza (2 millions).

La poursuite de la croissance démographique en Israël constitue un enjeu considérable. Les projections indiquent que la population va quasiment doubler d’ici 2050 pour passer selon les estimations de 17 à 20 millions d’habitants. Le fort taux de natalité (2,9) explique en grande partie cette évolution, en particulier celui de la communauté des Juifs ultra-orthodoxes (encouragés par un système d’allocations familiales très favorable à partir du 6° enfant) et pas seulement celle des Arabes Israéliens (dont le taux de natalité est désormais plus faible). Sur le plan politique, la montée en puissance de certaines communautés ne va pas aller sans poser de réels problèmes d’équilibre et de financement du système. En effet, si la communauté des Juifs ultra-orthodoxes passe de un à trois ou quatre millions de personnes, alors même que sa contribution économique est très faible et que son poids politique va aller croissant, personne ne sait écrire la « fin de l’histoire », mais à n’en pas douter, rien ne sera simple.

À ce phénomène démographique s’ajoute également celui de l’Aliyah qui conduit de nombreux Juifs de par le monde à faire le choix de venir s’installer en Israël. La loi du retour votée en 1950 le leur permet. Elle vise à favoriser le « rassemblement des exilés ». Il s’agit là de l’un des fondements du sionisme que la déclaration d’indépendance a consacré : « L’État d’Israël sera ouvert à l’immigration des Juifs de tous les pays où ils sont dispersés ». L’insécurité sous toutes ses formes, et notamment l’antisémitisme, explique cette tendance de fond.

Dans tous les cas, Israël devra faire preuve de créativité pour accueillir ce rapide doublement de population. Cela se traduira sans doute par l’aménagement des zones faiblement peuplées, notamment dans le désert du Néguev et dans certaines parties du nord du pays, en y associant l’ensemble des populations (y compris la Cisjordanie).

LES CLÉS DE LA RÉUSSITE

Par le passé et jusqu’à nos jours, la créativité et l’enthousiasme n’ont pas fait défaut car il a fallu à Israël réussir quelques performances extraordinaires pour absorber son exponentielle croissance démographique :

  • Transformer une bonne partie du désert en jardins, en vergers, en serres et en champs. Même si Israël n’a pas atteint le stade de l’autosuffisance alimentaire, le pays exporte de nombreuses productions et les résultats de son agriculture classique et intensive (les deux coexistent) sont très impressionnants et font appel à toutes les ressources de la science afin d’optimiser les espaces, les techniques et les rendements. À l’heure où l’Europe du Sud tend à se désertifier, il y aurait bien des leçons à tirer de l’expérience israélienne.
  • Disposer des ressources en eau nécessaires à la vie dans une zone aride constitue un enjeu majeur. Des ressources naturelles existent (lac de Tibériade, le Jourdain, quelques nappes phréatiques) et certaines ont été très disputées avec le Liban, la Syrie et la Jordanie, mais elles n’auraient jamais permis de répondre aux enjeux du développement démographique. Israël a donc mis au point une stratégie qui combine un ensemble de réponses : 
    • désalinisation (qui représente 85 % de l’eau potable consommée), 
    • réutilisation des eaux usées, 
    • gestion de l’eau agricole (l’irrigation goutte-à-goutte et la micro-irrigation), 
    • conservation de l’eau, 
    • planification de la gestion des ressources en eau (quotas, coordination, etc.). 

Là encore, l’Europe serait bien inspirée de regarder ce qui se passe là-bas. 

Dans un autre registre, le savoir-faire d’Israël en matière agricole et hydraulique peut favoriser la mise en place de partenariats stratégiques avec ses voisins frontaliers pour faire face au réchauffement climatique. De façon paradoxale, ce qui constitue un péril peut aussi représenter une opportunité.

  • Mettre en œuvre un modèle économique créateur de richesses. C’est ce qui a été réalisé à partir des années 1980, car le modèle précédent, fondé sur une approche autarcique et socialiste, constituait une impasse. Sur le plan économique, les résultats sont remarquables, nous l’avons évoqué plus haut. En revanche, sur le plan social, le creusement des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres atteint des niveaux très préoccupants. En Israël, le taux de pauvreté est le troisième des pays de l’OCDE.

ÉTAT D’ESPRIT ET ENGAGEMENT DE LA SOCIÉTÉ ISRAELIENNE 

Certes, la « pauvreté choisie » par la communauté ultra-orthodoxe, qui privilégie l’étude et la prière au travail, a un impact significatif sur cet indicateur, mais il n’en demeure pas moins qu’Israël fait face à un enjeu inégalitaire de taille, vis-à-vis de certaines populations mais aussi de ses territoires « périphériques », c’est-à-dire situés hors des zones du centre du pays et notamment de Tel-Aviv. Ces inégalités souvent très visibles et palpables confirment que là-bas aussi, il est urgent de s’attaquer au grand chantier social du partage de la valeur.

Dans ces domaines essentiels à la croissance et à la subsistance d’Israël, l’État a bien sûr joué un rôle important et il continue de le faire. Mais surtout, les Israéliens ont pris toute leur part et sont toujours animés par le même esprit pionnier, l’audace, la liberté d’entreprendre, l’acceptation du droit à l’erreur et le génie créatif.

Cet état d’esprit a permis aux Israéliens de relever tous les défis auxquels ils ont été confrontés depuis 1948 – une telle réussite était alors inimaginable – et qui les aidera certainement à trouver les solutions à ce qui, dans certains cas, paraît insurmontable ou irrésoluble.

Dans ce domaine, la société civile prend ses responsabilités, y compris pour apporter des réponses au conflit israélo-palestinien (l’engagement des femmes mérite d’être signalé), pour penser l’avenir d’un pays dont la population va doubler d’ici 25 ans et imaginer les meilleures façons d’aménager le territoire dans son ensemble, pour venir en aide au plus démunis et lutter contre le fléau de la pauvreté au travers d’initiatives privées, ou encore pour défendre le modèle démocratique.

LE PRAGMATISME AVANT TOUT

Certains trouveront bien sûr cette vision trop angélique ou optimiste. Mais qui aurait pu imaginer il y a encore cinq ans la signature des accords d’Abraham (traité de paix conclu en 2020 entre Israël, les Émirats Arabes Unis et Bahreïn, puis avec le Soudan et le Maroc), ou encore la signature en octobre 2022 d’un accord entre Israël et le Liban (qui ne reconnaît cependant pas l’État hébreu) sur le partage des gisements gaziers offshore en Méditerranée orientale ? Même en Arabie Saoudite les lignes bougent et le Royaume hachémite semble chercher à lever d’un cran la pression sécuritaire qu’il exerçait sur la région. Pour preuve, le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite négocié sous l’égide de la Chine et révélé le 10 mars 2023, ou encore la probable signature d’un accord de paix entre Riyad et les rebelles houthistes du Yémen (les deux pays sont en confit depuis 2015).

En politique et en géopolitique, tout est toujours possible, le meilleur comme le pire, et force est de constater qu’en matière internationale, Israël fait d’abord preuve de pragmatisme pour défendre ses intérêts. Avant toute chose, Israël cherche à assurer sa sécurité et à obtenir la reconnaissance de ses voisins. C’est parce qu’il a reconnu Israël lors d’un discours historique prononcé à la Knesset en novembre 1977 qu’Anouar el-Sadate, le Président égyptien, a obtenu la restitution de la péninsule du Sinaï. Il avait déclaré « Je vous dis aujourd’hui et je déclare au monde entier que nous sommes d’accord pour vivre avec vous dans une paix permanente et juste2 ». Cette reconnaissance a ouvert la voie aux accords de Camp David conclus en 1978. Israël a obtenu ce qu’il voulait, la paix et la stabilité avec son grand voisin égyptien.

Ce pragmatisme en matière de relations internationales est intéressant à analyser car il permet à un pays de bien se concentrer sur ce qui est utile pour lui, bénéfique, réaliste et réalisable. Beaucoup plus tactique que stratégique, la façon d’agir d’Israël, qui s’appuie aussi sur la capacité à engager un véritable rapport de force, présente un autre intérêt : éviter de mélanger géopolitique, idéologie et morale. 

La diversité de sa population conduit aussi Israël à devoir faire preuve de pragmatisme. Prenons le cas des Juifs russes et issus des divers pays du Pacte de Varsovie qui sont arrivés en masse après l’effondrement de l’URSS, à partir de 1991. En quelques années, sous l’effet de cette « Aliyah russe », la population d’Israël a progressé d’un million. Dès lors, il n’est pas surprenant qu’Israël se soit davantage posé en médiateur qu’en va-t-en-guerre dans le cadre du conflit russo-ukrainien, même si, face à une Russie qui perd son âme, il est probable qu’Israël finira par soutenir vraiment l’Ukraine sans trop le montrer.

ET L’EUROPE, ET LA FRANCE, DANS TOUT ÇA ?

Avec un tel « logiciel des géopolitique », nous pouvons imaginer qu’Israël aimerait que ses grands partenaires, et notamment l’Union européenne et la France, fassent davantage preuve de pragmatisme dans leurs relations, notamment en cessant de réclamer une solution à deux états et le retour aux frontières d’avant 1967 (ce qui reviendrait à abandonner Jérusalem-Est, la Cisjordanie et le très stratégique plateau du Golan). S’il peut paraître souhaitable à certains, la probabilité qu’un tel scénario se réalise reste très faible. Mais sa défense permanente depuis une cinquantaine d’années pollue la relation entre l’UE et Israël et laisse le champ libre à d’autres pays ou continents, notamment sur le plan économique. C’est peut-être dommage car Israël observe, comme nous le faisons, que les USA se concentrent désormais sur l’Asie et considèrent avec davantage de distance le Proche et Moyen-Orient. Même si elle reste encore le premier partenaire commercial d’Israël, l’UE pourrait en profiter davantage, mais c’est plutôt le Moyen-Orient le et l’Asie qui bénéficie de la situation.

Quant à la France, qui accueille la 3ème communauté juive du monde (après Israël et les USA) et qui était un allié stratégique de l’État hébreu jusqu’en 1967 (sur l’industrie, l’armement et le nucléaire), elle pourrait choisir de tirer son épingle du jeu mais pour cela, il lui faudrait envoyer un signal fort à Israël pour rétablir un vrai climat de confiance. Retour en arrière. En 1967, se sentant menacé, Israël décide d’attaquer en même temps l’Égypte, la Jordanie et la Syrie. Cette « guerre des six jours », va permettre à Israël de prendre le contrôle de Jérusalem Est, de la Cisjordanie, du plateau du Golan, de Gaza et de la péninsule du Sinaï. En réaction, le général de Gaulle critique fermement Israël pour cette guerre préventive et tient des propos toujours que mes dirigeants israéliens gardent toujours en mémoire (« les Juifs… un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ») et prend des décisions lourdes de conséquences pour Israël (embargo sur ventes d’armes, reconnaissance de l’OLP). 

Depuis, un doute réel subsiste sur la position française à l’égard d’Israël. Et cela d’autant que dans la foulée du général de Gaulle, le désengagement industriel français (aviation, nucléaire) opéré par les présidents Pompidou et Giscard d’Estaing a amplifié les craintes d’Israël sur les préférences affinitaires de la France avec le monde arabo-musulman (on peut supposer qu’il y avait quelques arrière-pensées commerciales dans la tête des présidents français). Les États-Unis n’ont pas opéré un tel choix, et cela ne semble pas leur avoir trop mal réussi.

Plus récemment, le fameux clash de Jacques Chirac dans les rues de Jérusalem le 22 octobre 1996 n’a pas non plus contribué à arranger les choses (« What do you want ? Me to go back to my plane and go back to France… »). Depuis, c’est la poursuite du « je t’aime moi non plus ».

Mais là encore, rien n’est irréversible, il faut juste le vouloir, prendre les bonnes décisions et choisir le moment opportun pour les appliquer. La France conserve une vraie capacité d’initiative et d’action, elle l’a d’ailleurs démontré à l’occasion de la conclusion de l’accord gazier entre Israël et le Liban, même si dans cette opération, elle s’en est peu fait l’écho et a préféré laisser les Etats-Unis en première ligne (officiellement, Joe Biden a remercié la France pour son rôle). Cette fois, le pragmatisme était à l’œuvre, tout comme la défense de nos intérêts (avec TotalÉnergies et CMA GGM en première ligne), et il faut s’en réjouir. Pourvu que ça dure ! 

1. Fondation Jean-Jaurès, Institut Sapiens, Institut Jacques Delors, Confrontations Europe, Cevipof, Institut Montaigne, Fondation Concorde, Renaissance numérique, Synopia, Fondation Res Publica, Terra Nova, Fondapol, La Fabrique écologique, GenerationLibre, Cerap.

2.https://www.lemonde.fr/archives/article/1977/11/22/m-sadate-je-suis-venu-chez-vous-pour-batir-une-paix-permanente-et-juste_2882058_1819218.html

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