Journal des Futurs #68 – ll faut revenir aux sources de la République pour fabriquer nos « élites » publiques

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A tous les âges de l’Histoire, les peuples ont cherché la meilleure façon de recruter, de former et de gérer ceux qui ont une partie des décisions et du destin communs entre leurs mains, à un titre ou à un autre. 

Les civilisations qui ont réussi à durer sont celles qui ont pu trouver une méthode pérenne et performante pour que, globalement, l’efficacité du système soit optimisée, compte-tenu des moyens qui ont toujours été rares. Les scribes de l’Égypte antique ont porté, pendant plusieurs millénaires, le pays du Nil à un haut niveau de civilisation, de prospérité et de stabilité. Les mandarins de la Chine impériale ont réalisé peu ou prou le même programme. L’Empire romain avait rigoureusement codifié les postes de décision publics (questeurs, édiles, tribuns, légats, prêteurs, consuls, …) ainsi que le cursus honorum qui permettait d’y accéder. C’est probablement une des raisons de la durée de l’Empire Romain, pourtant à bien des égards plus fruste que la brillante civilisation grecque. 

Aujourd’hui encore, les observateurs avertis de la Chine contemporaine constatent qu’un effort gigantesque est réalisé, année après année, pour sélectionner, former et encadrer les millions de fonctionnaires de niveau supérieur qui constituent l’armature de l’État chinois. Pour le régime, cet effort n’est pas superflu, il constitue l’investissement propre à assurer l’avenir du peuple chinois à long terme (il est vrai que là-bas, on compte l’avenir en millénaires plutôt qu’en années).

En France, la République, à peine née, s’est fixé deux exigences : celle de l’’efficacité, car il faut que chaque poste public soit occupé par une personne compétente ; celle de l’égalité, car il faut que tous les citoyens puissent prétendre y parvenir. C’est que qu’exprime la DDHC de 1789 : tous les Citoyens étant égaux, ils sont « admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».  

Ces principes forts ayant été perdu de vue, la catastrophe arriva, et le CNR fut forcé de rappeler dans son programme de 1943  « la possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires. Ainsi sera fondée une République nouvelle qui balaiera le régime de basse réaction instauré par Vichy et qui rendra aux institutions démocratiques et populaires l’efficacité que leur avaient fait perdre les entreprises de corruption et de trahison qui ont précédé la capitulation. Ainsi sera rendue possible une démocratie qui unisse au contrôle effectif exercé par les élus du peuple la continuité de l’action gouvernementale. »

C’est sur la base de ces principes que fut mis en place, au lendemain de la Libération, le statut de la fonction publique, consacrant notamment le principe du concours anonyme, pour intégrer et progresser dans la fonction publique ; et que furent créées les différentes écoles de formation de fonctionnaires, et notamment l’emblématique ENA.

Où en est-on aujourd’hui ? 

Force est de constater que le principe du concours comme voie d’accès à la fonction publique a été singulièrement battu en brèche. 

Aujourd’hui, les contractuels représentent environ 20 % de l’ensemble des emplois de la fonction publique, alors même que leur recrutement devait à l’origine être réservé « à l’exécution d’une tâche précise, ponctuelle », et que cette dernière « devait être limitée à l’exécution d’actes déterminés et non susceptibles de se répéter de façon régulière dans le temps ». La proportion de contractuels n’a cessé de croitre avec régularité depuis quelques décennies, sous les différents gouvernements.

De plus, la multiplication des agences, offices et autres hauts commissariats (juridiquement des Etablissements Publics), doublonnant avec les administrations classiques, a accru d’autant le nombre des personnels qui gèrent des enjeux publics (avec des ressources publiques) tout en n’étant pas fonctionnaires. Et qui échappent donc au concours de la fonction publique pour leur recrutement et leur avancement.

Dans les étages sommitaux de la pyramide hiérarchique, la situation est encore plus marquée. Première dérive : au sein même de l’administration, les nominations « au tour extérieur » de hauts fonctionnaires se sont accrues continument au cours des ans. 

Bien entendu, les dirigeants des établissements publics sont nommés de façon discrétionnaire par le gouvernement. Et, dans la plupart des cas, ces établissements disposent de bien plus de moyens et de pouvoir que les administrations traditionnelles. Comparons : Pole emploi et les services du ministère du travail ; le CNRS et les services du ministère de la recherche ; l’ANRU, l’ANAH et les services du ministère du logement ; l’ADEME et les services du ministère de l’écologie ; etc.

Dans les collectivités territoriales, l’arbitraire de recrutement est en quelque sorte institutionnalisé, puisque la loi donne la possibilité aux exécutifs locaux de recruter et de révoquer leurs cadres dirigeants (les « emplois fonctionnels ») de façon discrétionnaire, au nom de la liberté des collectivités à s’administrer librement.

Enfin, le recours de plus en plus fréquent aux cabinets de conseil (souvent États-uniens d’ailleurs), constitue une forme d’évitement des hauts-fonctionnaires, et conduit progressivement à leur substitution par de l’expertise extérieure. De facto, l’élaboration de la décision change de main.

Il est bien sûr acquis que les membres des cabinets ministériels (plusieurs centaines quand même !) échappent à tout contrôle pour leur recrutement qu’ils ne doivent qu’à la confiance des ministres (voire du Premier ministre, et même du président de la République…). 

Au total, il n’est donc pas exagéré de dire que l’essentiel des cadres dirigeants de la fonction publique ne doivent ni leur recrutement, ni leur promotion à des postes importants (ceux qui portent une part de la décision publique), à un processus prévu par les textes fondateurs. Dit autrement, il n’est pas certain que les fonctionnaires, et notamment les hauts-fonctionnaires remplissent les deux critères cardinaux de la compétence et de l’égalité entre les citoyens. 

En clair, est-on assuré que les postes de décision sont toujours occupés par des personnes compétentes ? Qui l’a vérifié et avec quels critères et selon quelles méthodes ? Et est-on certain que l’égalité des chances a été assurée entre tous les citoyens ? 

Ces deux aspects sont d’une importance fondamentale. L’efficacité parce que, en cas de crise, il faut que l’appareil de l’État puisse répondre vite et bien (souvenons nous de l’étrange défaite que Marc Bloch attribue en partie à la médiocrité de l’encadrement de l’administration et de l’armée) ; l’égalité parce que c’est la condition de l’adhésion des citoyens aux institutions (si les postes de décision me sont à jamais inaccessibles, alors je ne peux pas reconnaitre légitimes les décisions).

Pour ces raisons essentielles, il faut décidément en revenir à l’orthodoxie dans la gestion de la fonction publique : 

  • Supprimer rapidement la plupart des établissements publics qui doublonnent avec les administrations classiques.
  • Pour ceux qui demeurent nécessaires pour résoudre un problème précis et ponctuel, limiter leur existence dans le temps, et y affecter des fonctionnaires par la voie du détachement. Les agences doivent être le « mode projet » de l’administration classique. 
  • Créer les écoles de la fonction publique correspondant aux nouveaux métiers : (informaticiens, data scientists, etc.) comme jadis l’État a créé les écoles de vétérinaire, de gardes-forestiers ou d’ingénieur lorsque ces métiers étaient nécessaires au sein de l’appareil d’État. Ces écoles sont à la fois la garantie que l’expertise publique existe et se situe à la pointe, et que les enfants du peuple peuvent y accéder. 
  • Privilégier le concours comme voie de recrutement de la fonction publique. Le recrutement de contractuels doit être l’exception, tout comme le « tour extérieur » au choix du gouvernement. 
  • Jusqu’à un grade élevé, privilégier les concours d’accès pour parvenir au grade supérieur, sur le modèle de l’École de guerre dans l’armée, pour devenir officier supérieur. 
  • Si nécessaire, diversifier les jurys de concours, afin d’éviter le conformisme et la sclérose. 
  • Pour les emplois sommitaux, la règle devrait être que le gouvernement ne puisse choisir que dans le vivier des fonctionnaires disposant des états de service suffisants (là encore, sur le modèle des militaires : un chef d’état major est forcément choisi parmi les officiers généraux 4 étoiles). 
  • Aligner le fonctionnement de la FPT sur les règles de la FPE, et, pourquoi pas, faire gérer l’ensemble de la fonction publique par un organisme public d’État. 
  • Homogénéiser les régimes de primes entre les différents ministères et collectivités territoriales. C’est la condition pour pouvoir affecter de façon « agile » les fonctionnaires là ou les besoins sont les plus importants.
  • Eviter, sauf exception dûment justifiée et rendue publique, le recours aux cabinets de conseil (a fortiori anglo-saxons), pour évaluer l’existant, concevoir des réformes ou imaginer de nouvelles méthodes.
  • Enfin, il faut stopper la réforme de l’ENA dans ses attendus et reprendre le sujet dès le départ afin de s’attaquer aux causes du problème et non pas à ses conséquences les plus visibles ou symboliques. En particulier, il faudra revenir sur la suppression du corps des préfets ou encore celui des diplomates. Et sans doute ne pas créer un tronc commun de formation qui mêle fonctionnaires et magistrats. Accessoirement, il serait judicieux de ne pas supprimer la marque « ENA », reconnue et respectée dans le monde entier. En effet, qui songerait à rebaptiser Oxford, le MIT ou encore Stanford ?

D’autres mesures, visant à rééquilibrer les trois pouvoirs, pourraient être décidés, comme l’audition publique des très hauts fonctionnaires devant une commission mixte parlementaire.

De telles mesures changeront bien des pratiques et bousculerons les habitudes de ceux qui exerce aujourd’hui le pouvoir. Mais elles sont essentielles, car par de-là les questions majeures de compétence et d’égalité, se trouve aussi celle-là confiance de nos concitoyens envers leurs institutions et ses représentants.

Xavier d’Audregnies
Membre de Synopia

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