Journal des Futurs #55 – Spécial Journée de l’Europe ! Le temps est venu de refonder la solidarité européenne !

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En cette Journée de l’Europe, nous devons célébrer et rendre hommage à ce qui constitue probablement l’une des réalisations les plus extraordinaires de l’Histoire moderne : la construction européenne. Car avant de discuter de ses failles et de ses défauts, et des moyens de l’améliorer, prenons le temps d’apprécier la grandeur de cet édifice politique, économique, social, culturel. Prenons le temps de célébrer plus de soixante-dix ans de paix en Europe grâce à l’existence d’une solidarité européenne dont nos ancêtres – qui ont vécu les deux dernières guerres mondiales – n’osaient à peine rêver. Prenons le temps d’apprécier tout ce que cette construction a apporté aux Européens, la paix bien sûr, mais aussi la liberté de circuler partout, sans douanes, sans passeport, sans visa. Avec un budget qui devrait nous faire pâlir de honte, l’Union européenne réussit pourtant à agir dans de nombreux domaines dont les citoyens européens saisissent malheureusement peu l’étendue.

Ceci étant dit, tournons-nous maintenant vers l’avenir. Nous constatons alors que l’édifice européen est en danger. La crise sanitaire l’a mis à rude épreuve, d’autant qu’il était déjà affaibli par des crises antérieures non ou mal résolues. Lorsque la pandémie a éclaté, les citoyens européens ont pris conscience de la nature transnationale de la crise et ont donc espéré des solutions elles aussi transnationales, à la hauteur de l’enjeu. 

L’UE a pris ses responsabilités et n’est pas restée passive face à cette situation, alors même que la santé ne faisait pas partie de ses domaines de compétence. Mais le fait que les pays européens aient mis en œuvre des mesures très différentes et pris des décisions sans concertation, comme fermer ou non leurs frontières, instaurer des quarantaines et des confinements ou non, a témoigné d’une forme de désordre et d’absence de solidarisation des moyens, qui a atteint (durablement ?) la crédibilité de l’action européenne.

La crise sanitaire a ainsi mis en lumière les faiblesses structurelles de l’Union européenne et révélé une crise bien plus profonde et menaçante encore : une crise de la solidarité. 

Pourtant, la solidarité est le fondement même du projet européen. Rappelons-nous les propos de Robert Schuman en 1950 lorsqu’il appelait de ses vœux le passage d’une « solidarité de fait » – c’est-à-dire une situation d’interdépendance entre États européens suite aux conséquences de la guerre – à ce qu’il appelait « une solidarité de production » – c’est-à-dire une solidarité choisie et non subie. 

Il est donc intéressant de regarder l’histoire de la construction européenne à travers le prisme de la solidarité. Pourquoi ? Parce que chaque crise à laquelle l’UE a été confrontée révèle l’existence d’un malentendu autour de la solidarité européenne, une diversité des interprétations sur son contenu, sur sa nature, sur ses limites. En résumé, chaque État, voire chaque citoyen, a sa propre idée de ce qu’est ou de ce que devrait être la solidarité européenne. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient bien souvent du mal à parvenir à un consensus… 

Au gré des évolutions et des compromis politiques, le sens de cette solidarité s’est peu à peu flouté, jusqu’à ce que se structure une opposition entre deux groupes d’États membres : les pays dits du Sud (Espagne, Grèce, Italie, France), et les pays du Nord (Autriche, Pays-Bas, Suède, Danemark, Allemagne). Ce qui se joue dans cette opposition, ce n’est pas tant le principe de solidarité en lui-même, qu’une vision antagoniste du type de réciprocité attendu en échange de la solidarité.

L’exemple de la crise de la dette grecque en 2010 permet de mieux comprendre ce malentendu. En effet, certains États ont alors estimé que la Grèce était pleinement responsable de sa situation et que la solidarité européenne n’était pas là pour compenser l’irresponsabilité financière et économique de ses États membres. Toutefois, d’autres pays ont défendu le fait que, bien que la Grèce soit en partie responsable, la solidarité européenne devait précisément être utilisée pour sauver un État membre de la faillite. Pourquoi ? Parce que les conséquences pourraient être très graves pour l’ensemble de l’Union, notamment la zone euro. Après d’âpres négociations, un compromis a finalement été trouvé, sous l’impulsion (comme souvent) de la France et de l’Allemagne : la solidarité européenne a été activée envers la Grèce, mais conditionnée à l’application de mesures d’austérité et de réformes sociales et économiques.

Cet épisode révèle que le concept et la pratique de la solidarité sont, en effet, au cœur de l’Union européenne, mais aussi que les États membres ont des interprétations différentes sur ce que cette solidarité devrait ou ne devrait pas être, sur le moment où elle devrait ou ne devrait pas être activée, et sur l’étendue des sacrifices consentis en retour.

Ce conflit d’interprétations a de graves conséquences. Parmi elles : le Brexit. La solidarité européenne ne correspondant plus à ce qu’ils en attendaient, les Britanniques ont choisi de sortir de son périmètre. 

Il est désormais certain qu’il n’y aura pas d’amélioration en termes de solidarité tant que tous les États membres ne partageront pas une vision et une interprétation commune.

Dès lors, 14 ans après la dernière signature d’un traité (le traité de Lisbonne), la question que je voudrais poser est la suivante : n’est-il pas temps d’interroger à nouveau les principes que nous partageons entre Européens, ainsi que les objectifs communs que nous poursuivons ? La sortie du Royaume-Uni aurait déjà dû enclencher cette réflexion. Après que l’un d’entre eux les aient quittés, les 27 États européens restants doivent se demander s’ils sont satisfaits du fonctionnement de l’Union européenne, des termes de notre solidarité, et de notre système de gouvernance. Si la réponse est négative, nous devons déterminer les changements et les transformations nécessaires. 

Mais alors pourquoi faudrait-il nécessairement passer par un nouveau traité ? Si nous voulons aller plus loin dans l’intégration sociale et économique, par exemple, cet approfondissement ne pourra pas se passer d’une révision de la subsidiarité, c’est-à-dire d’une révision de la répartition des compétences entre l’UE et les États. 

Mais étant donné la situation actuelle de l’Europe (regain des conflits sociaux, polarisation des sociétés, déficit de confiance dans les institutions), nous devons veiller à ne pas répéter les erreurs du passé, notamment l’échec de la Convention sur l’avenir de l’Europe en 2003. Nous devons trouver de nouveaux moyens de convaincre les États et les citoyens européens que leur puissance et donc la maîtrise de leur destin exigent une refondation de la solidarité européenne. Pourquoi ? Parce que nous sommes maintenant confrontés à une concurrence mondiale sans précédent et à des défis transnationaux qu’aucun de nos pays ne pourra relever seul. C’était vrai avant, et c’est encore plus vrai aujourd’hui.

Aussi, pour rapprocher les citoyens de l’UE et raviver le désir d’Europe, il est grand temps d’organiser une nouvelle dynamique fondatrice, un momentum européen, au cours duquel les États membres se mettront d’accord sur une feuille de route pour les 5 à 10 prochaines années au moins. Cette feuille de route ne serait pas un document de 400 pages. Ce serait une courte liste de principes inconditionnels et d’objectifs ambitieux dans des domaines tels que la protection sociale et économique, mais aussi la réindustrialisation de nos pays afin de parvenir à une autonomie stratégique et d’offrir à nos populations la protection et la sécurité qu’ils exigent.

Cette feuille de route serait le point de départ des discussions autour d’un nouveau traité qui définirait les moyens pour atteindre les objectifs sur lesquels les États se seraient préalablement entendus à travers la feuille de route. Si le plan de relance de l’UE, « Next Generation EU », constitue un bon début, les objectifs ne sont pas assez clairs et la priorité accordée aux questions environnementales et de transition écologique doit s’inscrire dans un projet plus ambitieux de souveraineté. 

La souveraineté européenne, eu égard à la situation internationale et aux défis transnationaux auxquels nous sommes confrontés, ne doit plus être considérée comme une option. Et le meilleur outil pour la souveraineté est, je le crois, davantage de solidarité européenne. 

La solidarité européenne, et la protection et la sécurité qu’elle doit apporter, nécessite beaucoup plus d’investissements de la part des États. Nous ne pouvons pas être de sérieux concurrents dans des domaines clés pour l’avenir tels que l’espace, le numérique, la transition énergétique, sans investir les ressources nécessaires. Si la comparaison avec les États-Unis ou d’autres grandes puissances est souvent rejetée, elle demeure utile pour prendre conscience de notre retard dans tout un tas de secteurs stratégiques. Il est indéniable que si les États-Unis demeurent encore une grande puissance, c’est précisément parce qu’ils investissent massivement dans l’avenir, tout comme le font la Chine et la Russie sans s’en cacher.

Les citoyens européens s’attendent à ce que, grâce à leur adhésion à l’UE et grâce à la solidarité européenne, leurs pays soient à la hauteur des défis et des crises de demain. Et les dirigeants de l’Union européenne ont le devoir impérieux de ne pas les décevoir. 

Joséphine Staron
Directrice des études & des relations internationales chez Synopia 

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