Journal des Futurs #30 – Pour-quoi travaillons-nous aujourd’hui ? Revenir au bon sens !
La période de confinement et déconfinement va-t-elle changer notre vision du travail ? Allons-nous répondre autrement à la question : pour-quoi travaillons-nous ? Cet article a pour but de partager la vision du monde d’avant. À nous de voir dans les prochains mois si celui-ci est définitivement mort.
Quelles sont les bonnes raisons qui nous poussent à nous lever le matin pour aller travailler (le pourquoi) ? La question peut être reformulée autrement, pour-quoi sommes-nous tirés du lit et pour-quoi allons-nous travailler ? Dans un cas, il faut bien s’arracher de son sommeil et de son confort, et dans l’autre se laisser emporter par cette envie qui donne de l’énergie, ce travail qui nous attire comme un aimant. Bien évidemment, ce n’est pas aussi caricatural. Pour-quoi je vais travailler est une alchimie entre des raisons et des envies.
Dans le cadre des activités de recherche en management, la Chaire Sens & Travail de l’Icam étudie depuis 2016 le sens que les dirigeants donnent à leur travail. C’est un sujet peu exploré car il est difficile de savoir ce que les personnes pensent vraiment de leur travail.
Il est intéressant de revenir sur l’enquête réalisée en novembre 2019. Les résultats proviennent d’abord d’une recherche qualitative auprès de dirigeants « hors du commun », parce que la presse, les médias et les réseaux sociaux les désignent comme des « bâtisseurs de sens ». Ils proviennent ensuite d’une démarche quantitative auprès d’un échantillon représentatif de personnes qui travaillent dans les entreprises privées de plus de 50 salariés, du chef d’entreprise à l’opérateur.
Cette première enquête nationale, menée avec Estelle Morin, professeur en psychologie du travail à HEC Montréal et avec l’institut de sondage BVA se fonde sur 1 487 répondants : 1 051 collaborateurs de tous niveaux et 436 dirigeants ou managers. Cette enquête a un effet miroir avec la période que nous avons vécues pendant le confinement et que nous vivons en déconfinement.
Mais pourquoi travaillent-ils ?
Dans les recherches internationales, il est fréquent de mesurer l’orientation que les personnes donnent à leur travail. Faites-vous partie de celles qui ont tendance à penser que leur travail est un moyen de gagner sa vie, que vous n’avez pas vraiment d’autres attentes que celle d’obtenir un salaire et des avantages sociaux en échange de votre temps et de l’effort que vous mettez au travail ? Alors, votre travail est orienté emploi.
Mais le travail est peut-être pour vous une carrière. Il vous permet d’atteindre des objectifs professionnels et pour cela vous investissez beaucoup d’énergie afin d’obtenir l’avancement qui vous convient, quitte à changer d’entreprise. Les primes et autres marqueurs de réussite vous stimulent car ils attisent votre goût pour l’accomplissement et le dépassement professionnel.
Et puis pour d’autres, le travail est une vocation. Vous avez tendance à le concevoir comme une activité qui contribue à la communauté, à la société. Vous vous concentrez sur la valeur dite intrinsèque de votre travail.
Si les chefs d’entreprise et les cadres supérieurs mettent en premier le travail comme un emploi, aux alentours de 80 % d’entre-eux, et d’une carrière pour 70 % ; seuls les chefs d’entreprises pensent majoritairement à 64 % que le travail est une vocation. Les cadres intermédiaires voient aussi le travail comme un emploi et une carrière, mais pour seulement 50 % des répondants. On constate donc près de 30 points d’écarts.
Le travail : une activité qui aide à structurer l’existence
Quant aux non encadrants, majoritairement des employés et ouvriers, c’est la grande surprise. Le plus grand nombre disent que leur travail n’est pas vraiment un emploi, ni une carrière, ni une vocation. Mais donc quel est-il ? L’hypothèse que nous avions avant le confinement, celle que le travail sert tout simplement a structurer l’existence, a été largement confirmée par ces deux mois de confinement, et donc d’inactivité pour une partie des gens. Nous fondons cette proposition sur une autre question de notre enquête : celle de la valeur accordée au travail dans l’existence, comparée à d’autres domaines d’activités, notamment les loisirs et la famille.
Si la famille et les loisirs sont des valeurs qui passent avant le travail pour les non-encadrants, faut-il pour autant se désespérer lorsque l’on est cadre supérieur et que l’on accorde presque autant d’importance au travail qu’à la famille ? Comment peut-on se mettre au travail si les valeurs ne sont pas les mêmes ? En fait c’est très clair, nous pouvons vraiment compter sur la volonté de bien faire son travail à tous les niveaux de l’entreprise.
Le sens du travail est dans le métier !
Mais cette enquête dévoile une information importante de nature à remettre le travail au centre des préoccupations, alors que depuis vingt ans le management se focalise de façon excessive sur le développement personnel, le bonheur au travail et toutes formes de feed-back qui viseraient à faire parler les uns et les autres de leurs ressentis au travail, alors qu’ils n’en demandent pas tant.
Parmi 16 motifs pour lesquels les personnes sont prêtes à faire un effort dans leur travail, la qualité de vie au travail arrive en premier, puis la satisfaction de la clientèle et la qualité des produits et services. Le développement personnel et professionnel arrive ensuite.
Mais plus intéressantes encore sont les corrélations entre ces motifs d’investissements au travail et les bénéfices qu’ils procurent. Et de réaliser que, dans l’ordre, c’est la satisfaction de la clientèle et la qualité des produits et services, qui ont le plus d’effets sur le bien être psychologique, et sur deux motivations fortes : l’engagement au travail et le sens du travail. La qualité de vie au travail arrivant en troisième position.
Il y a donc largement la possibilité de faire confiance à tous les niveaux de la hiérarchie et en particulier chez les non encadrants, car l’utilité du travail concrète et reconnue est celle qui a le plus d’effets positifs.
Cadres supérieurs, ils comptent sur vous !
Sur l’ensemble des questions, et en particulier lorsque l’on mesure les effets du travail en termes des bienfaits et des méfaits qu’il produit, ce sont les cadres supérieurs qui s’en sortent le mieux.
Et puisque les écarts de perception sur les pratiques de management sont finalement beaucoup moins importants entre les cadres supérieurs et les chefs d’entreprise qui fonctionnent bien ensemble, qu’entre le reste des collaborateurs, les cadres supérieurs ne sont-ils pas attendus sur autre chose que sur la mission de l’entreprise, sa raison d’être ou les explications sur la stratégie ? En effet, les écarts les plus importants en matière de management entre les cadres supérieurs et cadres intermédiaires, puis entre ces derniers avec les non-encadrants sont :
1) le manque de direction claire et utile ;
2) le soutien à la résolution de problème ;
3) la vigilance à la santé et à la sécurité.
Ce sont les trois leviers sur lesquels sont attendus les managers.
Finalement l’une des conclusions de cette enquête sur le sens du travail et les pratiques de management invite à revenir à l’expérience du travail, en créant des espaces de discussion sur le terrain afin de procéder à des arbitrages entre la satisfaction de la clientèle, la qualité des produits et services, et la qualité de vie au travail.
Il est temps de promouvoir le management par le travail !
Laurent Falque, Titulaire de la chaire Sens & Travail à l’Icam,
Estelle Morin, Professeur en psychologie du travail à HEC Montréal