Interview de Madame Mireille Ballestrazzi

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BallestrazziOfficial-1984High« Le monde criminel globalisé menace directement la stabilité des États. »

La Présidente d’Interpol, Mme Mireille Ballestrazzi, nommée Directrice centrale de la police judiciaire (DCPJ) le 13 décembre dernier, a accordé une interview exclusive, portant sur la globalisation du crime organisé, à Jean-Claude Galli, Grand reporter, chercheur associé à Synopia, et à la journaliste Margo de Croÿ.

Synopia à le plaisir de vous proposer l’intégralité de cet entretien; l’un des rares accordés par celle qui désormais cumule les fonctions de patronne de la DCPJ avec celles de « premier flic du Monde ».

L’arrivée de Mireille Ballestrazzi, il y a un peu plus d’un an, à la tête d’Interpol correspond à un tournant majeur pour la coopération policière internationale. Face à la globalisation des activités criminelles et l’apparition de nouvelles menaces pour les individus comme pour les États, les 190 pays membres d’Interpol ont décidé l’ouverture, en 2014, du Complexe mondial Interpol pour l’innovation (CMII), un centre ultra-moderne de recherche et de développement, basé à Singapour, dont la mission sera de former des policiers du monde entier à la lutte contre la criminalité numérique. Les prémices d’une police 3.0 ?

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Vivons-nous dans un monde plus dangereux qu’hier ?

Mireille Ballestrazzi C’est difficile à dire. Il y a vingt ou trente ans, certains pays étaient bien plus dangereux qu’ils ne le sont de nos jours. Cela étant dit, nous sommes à présent confrontés à des dangerosités qui n’existaient pas alors. Le phénomène d’internationalisation de la criminalité s’est amplifié. Aujourd’hui il ne concerne plus comme autrefois les seuls pays développés. Il touche aussi ceux en voie de développement. Des États déjà déstabilisés par de graves difficultés économiques ou/et démographiques, sont livrés au terrorisme

En définitive, les principales organisations criminelles n’ont fait que s’accroître et de nouvelles ont vu le jour, notamment en Afrique et en Europe de l’Est. Les trafics de drogue constituent désormais une puissance qui menace directement la stabilité des États.

Comment le crime s’est-il mondialisé ?

M.B.  Les réseaux criminels se sont démultipliés sous l’effet de plusieurs facteurs: la libération des échanges, l’instantanéité des transferts financiers, la possibilité de se déplacer rapidement et, bien évidemment, le développement des nouvelles technologies, celles de la communication notamment avec l’Internet. Nous vivons désormais dans un monde où l’éloignement ne constitue plus un obstacle ni une sécurité. Les organisations criminelles ont appris à travailler entre elles, voire à s’associer quand elles ont des intérêts communs. Des criminels africains peuvent très bien travailler avec des asiatiques, ceux des pays de l’Est avec ceux des cartels de la drogue. Tout ça se mélange si nécessaire. C’est un monde globalisé en face duquel les États doivent sans cesse adapter leurs dispositifs préventifs et répressifs. Les criminels, sont les premiers à s’adapter à nos ripostes et à l’évolution des technologies

L’autre facette du crime aujourd’hui, c’est l’émergence dans certains quartiers des grandes métropoles (américaines puis européennes) de bandes qui grâce à l’accès aux nouvelles technologies prennent contact sans intermédiaire avec des criminels étrangers et dont les membres se déplacent eux-même pour prendre livraison de leur marchandise  L’exemple typique, c’est ce qu’il se passe dans les cités sensibles en France où le trafic de stupéfiants (ndlr: essentiellement le cannabis) est une activité très prégnante, à l’origine de tout ce qui est connexe: l’économie souterraine, les guerres de territoires, les règlements de comptes, les enlèvements.

Certains analystes prétendent que la prolifération du crime organisé est le moteur inavouable de la mondialisation…

M.B. Mais ce ne sont pas les mafias qui ont fondé la mondialisation de l’économie. Heureusement! Il faut bien reconnaître que tous ces trafics génèrent des ressources énormes (Interpol estime que le trafic illicite de marchandises et la contrefaçon génèrent chaque année prés de 2000 milliards de dollars US) De l’argent blanchi puis investi. Un investissement qui participe de l’économie globale, de la même manière que l’économie souterraine dans les cités françaises alimente en partie la vie des familles.

On parle de «nouvelles menaces» criminelles. De quoi s’agit-il exactement ?

M.B.  Pour commencer, la cybercriminalité. C’est la priorité de l’ensemble des pays membres d’Interpol. Notamment du point de vue de la cybersécurité, c’est à dire de la protection des infrastructures sensibles des États.

Il y a ensuite tous les nouveaux trafics qui sont en train de voir le jour et peuvent dans l’avenir se développer de manière exponentielle du fait qu’ils rapportent beaucoup d’argent et que les réseaux criminels vont y investir. Il s’agit des atteintes à la santé, notamment le trafic de médicaments falsifiés ou contrefaits. Ou bien des atteintes à l’environnement comme le trafic d’ivoire en Afrique.  C’est aussi la pêche illégale, au large des côtes de l’Afrique de l’Ouest et de celles de l’Amérique latine. C’est un vrai fléau pour les pays concernés: la faune sous-marine est décimée et les réseaux parallèles de vente mis en place impactent leur vie économique et sociale. Il y aussi l’exploitation illégale des minerais. Au Pérou par exemple où le travail dans les mines d’or illégales cause des dégâts considérables sur l’environnement. Les cours d’eau comme les terres sont pollués du fait de l’utilisation du mercure. En Afrique, le même type d’activité s’accompagne de l’exploitation humaine, dont celle d’enfants, forcés de travailler et souvent maltraités.

La criminalité alimentaire, enfin, se développe considérablement. Prenez l’affaire du beurre frelaté, (mélangé avec des graisses animales et des déchets de boucherie par la mafia italienne afin d’empocher les aides de l’UE) les trafiquants utilisent des produits dangereux comme le suif qui peuvent avoir des effets cancérigènes.

Au Mexique, les cartels de la drogue ont infiltré quasiment tous les rouages de l’État. Pensez-vous qu’un tel scénario soit envisageable à l’avenir dans certains pays occidentaux, notamment européens ?

M.B. J’aimerais vous dire non parce que nous sommes, de par notre histoire, des pays mieux protégés que d’autres, de vieilles démocraties attachées à leurs valeurs républicaines. Mais, si l’on prend un peu de recul, on se rend compte que les choses sont fragiles, qu’il faut être vigilant. C’est comme une gangrène, quand ça démarre cela peut aller très vite. Prenez la cocaïne, force est de constater que la corruption se développe et se répand avec l’ouverture des nouvelles voies de son trafic. Les criminels parviennent ainsi à gangréner des pays qui étaient à peu près propres jusque là, en Afrique de l’Ouest par exemple. Et c’est là où Interpol joue un rôle important. En aidant des États qui ont des moyens limités à former leurs policiers ou à mettre en place des bases de données communes afin d’échanger des informations sur un plan régional et palier à l’absence de bases de données nationales.

Jusqu’où les services de polices des pays démocratiques peuvent-ils coopérer avec ceux d’États dont la nature politique est plus discutable ?

M.B. Les règles fondamentales d’Interpol stipulent qu’on ne doit jamais apporter notre coopération à tout ce qui est d’ordre politique, religieux, militaire ou racial. La grande force de notre organisation est de permettre de relier les polices entres elles. Il faut promouvoir cette collaboration, sans être pour autant angélique. Demeurer en alerte sur les normes et les valeurs. Nous disposons pour cela d’un service juridique extrêmement vigilant qui contrôle toutes les requêtes. Évidemment, l’attention est plus soutenue pour certaines demandes, surtout quand elles sont contraignantes comme les notices rouges (demande d’arrestation en vue d’extradition). Chaque pays doit faire sa demande -via son Bureau central national (BCN)- au siège d’Interpol qui étudie le dossier et le valide ou pas. En France, la coopération n’est engagée qu’après avis favorable de la justice. Le bureau de l’entraide pénale internationale analyse chaque cas et émet un avis. D’autres pays accordent immédiatement une valeur législative à la notice rouge. C’est à dire qu’à partir du moment où cette dernière est diffusée par Interpol, la procédure s’enclenche automatiquement. Personnellement, je trouve ça très dangereux, mais c’est ainsi. Les enjeux sont trop importants, on n’a pas le droit à l’erreur là-dessus.

Si demain, par exemple, une demande de «notice rouge» arrive de Libye, vous allez-donc y porter une attention particulière…

M.B. Forcément.

Votre lutte contre le trafic de drogue est-elle remise en cause par le fait que le Président bolivien Evo Morales autorise la culture de la coca dans son pays ? 

M.B. Oui, c’est un problème. Mais les premiers embêtés se sont les pays voisins. Interpol n’a pas la capacité de l’empêcher de le faire. Nous sommes obligés d’en prendre acte. Aux USA vous avez des États qui, récemment, ont dépénalisés la consommation du cannabis et cela pose aussi des problèmes.

Les références à la culture des gangs -argent facile, filles faciles- sont de plus en plus présentes dans nos sociétés. Doit-on s’en inquiéter ?

M.B. C’est un phénomène qui inquiète beaucoup les gouvernements des pays des Amériques, latine et centrale. Là-bas, il y a un engouement énorme de la jeunesse pour tout ce qui touche aux gangs. Il est véhiculé par les réseaux sociaux, l’Internet, la télévision et les jeux vidéos; c’est tout un ensemble. Quel est l’impact de ces jeunes des gangs qui servent de référents aux autres alors qu’ils ne le devraient pas? Difficile à dire, mais je pense qu’il peut y en avoir un. Quand on voit certains comportements de jeunes, qui sortent des armes, comme ça, et tuent pour rien, là où il y a vingt ans un échange de coups de poings suffisait, on peut se demander si ils n’agissent pas par mimétisme.

Que peut-on faire en l’occurrence ?

M.B. A Los Angeles, la police et les autorités municipales sont parvenues à faire en sorte que les gangs qui étaient maîtres des rues il y a dix ou quinze ans ne le soient plus aujourd’hui. C’est le fruit d’une vraie politique, d’une stratégie particulière pour le rapprochement des populations et l’intégration des communautés. Mais il faut s’en donner les moyens et être en mesure de manager les troupes (les forces de police) afin qu’elles s’imbibent de la culture nouvelle que l’on entend leur faire appliquer. Ce n’est pas simple, il faut accepter le changement. Voilà, on vit dans ce monde là aujourd’hui.

Et il vous préoccupe ?

M.B. Pas dans l’exercice de mon métier où il y a beaucoup de choses à faire, une mission à accomplir. Mais en tant que mère de famille, en tant que citoyenne, oui cela peut faire un peu peur. Ces phénomènes sont prégnants. On dit toujours: «il faut que jeunesse se passe». Mais là, on peut se demander: jusqu’où va la déformation psychologique et mentale, l’atteinte à la structuration de la pensée ?


Propos recueillis par Margo de Croÿ et Jean-Claude Galli

 

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