Huffington Post – Tribune d’A. Malafaye « Pourquoi il ne faut pas blâmer ceux qui votent blanc »
Au terme de cette élection présidentielle hors normes, nous pouvons craindre que le quinquennat de François Hollande ne soit le dernier du genre à être « normal ». Les enseignements que nous tirons du premier tour ne sont guère réjouissants. Nous en retiendrons sept.
1. Scrutin après scrutin, la marée contestataire monte inexorablement. Cette fois, elle a emporté les primaires et leurs lauréats, les grands partis traditionnels et nombre de leurs leaders. Il faut dire que l’absence de résultats probants des politiques menées depuis des décennies donne de l’eau au moulin des partis contestataires, à leur vision simplistes et à leurs thèses démagogues. A quoi s’ajoutent des comportements politiques déplacés –ou scandaleux–, cette pratique du pouvoir dans un entre-soi très parisien, et ces visages qui ne changent pas.
2. La France est composée de quatre forces politiques de taille à peu prés équivalentes, sans compter le camp des abstentions, qui vont toutes jouer un rôle de premier plan au cours des années qui viennent.
3. Pour autant, s’il se trouve toujours des inconditionnels et des militants résolus, dans l’ensemble, le cœur des Français ne bat plus pour ses représentants. Le phénomène n’est pas récent mais, quinquennat après quinquennat, le désamour s’amplifie. Selon un sondage Ifop pour Synopia réalisé fin mars 2017, rappelons que 40% des Français auraient voté blanc si ce vote avait eu le pouvoir d’invalider l’élection présidentielle.
4. Conséquence logique, il n’y a aucun véritable vainqueur au premier tour. Seulement des qualifiés pour le second. Et des déçus. En dépit du soutien de François Bayrou, Emmanuel Macron recueille moins de voix [1] que François Hollande en 2012 ou Ségolène Royale en 2007.
5. Quant à Marine Le Pen, sa deuxième place et son score de 21,3% (on annonçait 30% il y a encore quelques semaines) ne la mettent pas en situation de remporter l’élection. Mais il n’y a pas de quoi se réjouir, car elle mène la danse de ce deuxième tour, contraignant Emmanuel Macron a réagir à ses provocations et ses « coups tactiques ». Comme le fit Donald Trump avec Hilary Clinton.
6. le Front républicain ne fonctionne plus vraiment. Peut-être faut-il admettre que nous payons le prix de trente années de diabolisation stupide? A force de « crier au loup… », les Français se sont habitués. Or, c’est sur le terrain des idées, des arguments et des réalités qu’il fallait combattre, et non sur celui d’une morale méprisante envers ceux qui choisissent la voie de la rupture, avec sa part d’ombre ou d’inconnue, pour rejeter celle d’une continuité sans issue.
En ce sens, Emmanuel Macron a eu raison d’accepter le débat du 3 mai avec Marine le Pen.
7. La seule bonne nouvelle nous vient des États-Unis. En 100 jours, le principe de réalité a fait voler en éclat plusieurs mesures phares de M. Trump. Ce même principe rattrape Marine Le Pen, qui se voit contrainte de renoncer à la sortie de la zone euro pour tenter de rendre son projet plus crédible et surtout davantage racoleur.
Alors, à la veille du second tour, que faut-il faire? Comment voter?
Si l’on se place dans le camp très majoritaire de ceux qui ne voteront pas pour l’ex présidente du Front national, plusieurs camps s’opposent. Il y a d’abord ceux qui, convaincus, voteront sans hésiter pour Emmanuel Macron. Un autre groupe votera pour lui par devoir, sans enthousiasme, dans l’esprit de Raymond Aron: « Le choix en politique n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le préférable et le détestable ».
Restent les indécis, partagés entre l’abstention et le vote blanc. Mais faut-il blâmer, comme beaucoup le font, ceux qui s’apprêtent à voter blanc?
Non. Trois fois non!
D’abord, parce que ce choix est désormais reconnu par la loi du 21 février 2014. Le législateur a accepté de considérer les électeurs qui refusent de choisir entre les candidats en lice.
Certes, des voix montent de toute part, pour les convaincre de choisir le bon bulletin. Mais la promesse d’un enfer avec le Front national ne suffit plus. D’autant que les indécis savent compter. Pour que Marine Le Pen triomphe, il faudrait que son électorat double et que l’abstention et les blancs dépassent 40%. Une telle occurrence est très faible.
Par ailleurs, il est temps de voir la culpabilité changer de camp. Si nous en sommes réduits à ce deuxième tour, et si notre France va si mal, c’est bien la faute de la classe politique actuelle et Emmanuel Macron, ne lui en déplaise, appartient à cette classe politique. D’ailleurs, ne travaille-t-il pas avec nombre de ses éminents représentants, de François Bayrou à Jacques Attali, en passant par Bernard Poignant, Jean-Paul Delevoye ou encore Jean-Pisany Ferry?
Enfin, pour beaucoup d’indécis, il ne saurait y avoir de reddition sans négociation, ou de vote sans condition. La responsabilité de les convaincre revient à M. Macron. Les « Votez pour moi » et « Faites-moi un chèque en blanc, je m’occupe de tout » ne leur suffisent pas. A lui de trouver les bons arguments. Sans quoi, même élu par 70% des Français, le socle de sa légitimité foncière, celui qui permet de rétablir la confiance et d’entraîner un pays sera très étroit.
Peut-être devrait-il donner des preuves de la façon dont il entend mener le « cinquième chantier » de son programme, celui « du renouveau démocratique ». Car des ambiguïtés subsistent. A titre d’exemple, il pourrait communiquer les noms de son équipe de gouvernement. A moins d’une semaine de son élection, elle est nécessairement constituée. Le contraire serait folie. Or, ce refus de clarté laisse penser que ses premières décisions, au lendemain de son élection, seront en retrait de ses promesses électorales.
Il pourrait aussi envoyer un signal attendu par près de 90% des Français et s’engager en faveur d’une prise en compte réelle du vote blanc.
Surtout, il devrait dire aux Français qu’il a posé les bons diagnostics sur les grandes difficultés qu’il y a à gouverner le pays, ouvrant ainsi la voie au vrai chantier du « renouveau démocratique ». Car à lui seul, le renouvellement annoncé de la classe politique ne suffira pas. Il faut aussi rénover le système démocratique et institutionnel. 88%, les Français y sont prêts [2].
En dépit de sa jeunesse, Emmanuel Macron ne rentrera pas davantage dans l’histoire que François Hollande ou Nicolas Sarkozy s’il se contente, ou se voit contraint, de gouverner tant bien que mal, au gré des événements. Il entrera dans l’histoire s’il invente la démocratie moderne. Ou alors, il se pourrait bien qu’il devienne le prédécesseur de Marine Le Pen, ou de Jean-Luc Mélenchon.
En définitive, la feuille blanche de notre destin est entre ses mains.
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[1] En 2017, Emmanuel Macron a recueilli 8,5 millions de voix, contre 9,5 millions pour Ségolène Royal en 2007 et 10,3 millions pour François Hollande en 2012 (sans oublier les 3,3 millions de François Bayrou).[2] Selon un sondage Ifop pour Synopia publié en avril 2017, 88 % des Français attendent de vrais changements institutionnels.