« Affaire de Rugy : les leçons de la nouvelle communication de crise », par Jacky Isabello

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Retrouvez l’article de Jacky Isabello, administrateur de Synopia, publié le 17 juillet 2019 dans la Revue politique et parlementaire.

Une semaine après les révélations de Mediapart, François de Rugy a annoncé  sa démission du ministère de la Transition écologique et solidaire. Réaction de Jacky Isabello, cofondateur de l’agence Coriolink et administrateur du Think tank Synopia.

Après une semaine intense rythmée par une polémique autour de la probité supposément entachée d’un ministre frappé en rafale par les révélations du nouveau censeur des bonnes mœurs républicaines ; atours dans lesquels se sont drapés les membres de la rédaction de Mediapartanimée par MM. Plenel et Arfi, le numéro 2 du gouvernement dirigé par Edouard Philippe s’est finalement agenouillé et a rendu les armes !

En admettant la nécessité de démissionner pour défendre son honneur et protéger sa famille, il faut également y voir une intention de ne pas dégrader l’image du gouvernement d’Emmanuel Macron encore en voie de guérison après sept mois d’une révolte en jaune et à la date anniversaire de l’affaire Benalla, cellule souche d’une communication dysfonctionnelle ayant engendré des accidents en cascade, lourds de conséquence dans un processus de fermentation qui conduisit à l’explosion de la crise des « gilets jaunes ».

Mediapart : le poids des mots, le choc des photos, la puissance des réseaux sociaux 

La communication de crise dans l’univers politique a changé de paradigme. Les acteurs devront s’y préparer pour ne pas mourir. Replay : jeudi 11 juillet à 10h sur LCI Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart, commente les images de ce qui restera dans les mémoires comme l’affaire des homards. Il nous interpelle en assénant que M. de Rugy a servi des homards géants. Ce qualificatif est-il nécessaire pour établir la culpabilité du ministre à propos de dîners luxueux servis à des invités dont on ne sait toujours pas s’ils appartiennent au cercle professionnel ou privé du représentant du gouvernement ? Peu importe, il démontre une chose essentielle à qui souhaitant devenir un jour ministre. Désormais les médias publient des enquêtes, source de la monétisation de leur modèle économique, et les défendent bec et ongle comme des agences de communication et d’influence. Et alors !

L’analyse sémiologique de l’attaque fulgurante lancée par Mediapart accrédite cela. Aux mots, choisis, ils conjuguent des images, le homard et de fameux breuvages. Celles-ci elles-mêmes fantasmées par l’évocation des prix délirants de ces mets délicieux. Enfin, l’entreprise qui pourrait bientôt devenir une Fondation d’intérêt public, soutient l’engagement des opinions publiques sur ce dossier en s’impliquant sans réserve dans les médias mainstream mais aussi sur les réseaux sociaux. Les enquêtes de Mediapart sont comme des films, les acteurs en font la promotion. En matière de communication de crise ce point est essentiel et tout à fait nouveau. Auparavant, les médias publiaient des informations et laissaient d’une part les commentaires se construire et d’autre part la justice se saisir des révélations autant que de besoin.

Mediapart est au journalisme ce que les forces spéciales sont à « l’armée à la papa » enfouie dans des tranchées.

D’un nouveau genre sur un nouveau terrain de l’information et de la communication essentiellement digitales (autonomes, rapides, furtives, dans un contexte hautement hostile, effectif réduit contre des adversaires nettement plus nombreux, techniques et tactiques particulières dans le but d’exploiter les points faibles de l’ennemi et d’en tirer un avantage décisif)1.

Une gestion de l’alerte hasardeuse

En communication de crise, lorsque le dossier revêt des aspects touchant à la morale, les méthodes américaines nous ont appris que la personne « mise en examen médiatique » ne dispose que de quelques heures pour construire son personnage auprès des différentes opinions publiques. Soit elle est perçue comme une victime, soit elle est jugée prématurément coupable (Victim or Villain en anglais). L’approximation des éléments de langage utilisés par M. de Rugy, dans les premières heures de la crise, ont offert le portrait de quelqu’un peu à l’aise dans ses justifications donc forcément coupable. Nos concitoyens se sont demandé comment un élu de la République pouvait justifier de telles agapes par le besoin de : « rester connecté à la vraie vie ».

Or, en souhaitant éteindre l’incendie, le soldat du feu de Rugy a jeté de l’huile sur le feu.

La brûlure fût instantanée et la blessure persistante !

Ne pas tomber dans les pièges de Mediapart

D’autres éléments pourraient renforcer les fondements d’une argumentation montrant la démarche communicationnelle de Mediapart, nonobstant le métier indispensable qui est le leur de révéler ces informations qui doivent, si elles sont avérées, soulever encore et toujours l’indignation populaire.

A l’argument qui voudrait désarçonner la rédaction de ce média numérique en lui opposant son désir de « feuilletonner », je rappelle respectueusement aux élus que lorsque le sage montre la lune le sot regarde le doigt. Est-ce que séquencer la publication d’une affaire au compte-gouttes retirerait de la substance au scandale qu’elle porte ? Cela permet avant tout de ne pas répondre sur le fonds. De plus, cela renforce structurellement le travail du média, car le citoyen perçoit nettement l’absence de réponse sur le fonds. A critiquer le messager comme le rappelle le représentant de la rédaction du média créé par François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel et Marie-Hélène Smiejan-Wanneroy, on le renforce. Mediapart n’est jamais plus puissant que quand il nourrit la peur des élites, plus encore si elles n’ont comme seule réponse de s’attarder sur l’écume des choses.

L’ADN d’une affaire mal engagée 

La seule question digne d’intérêt, d’un point de vue de la communication, serait de s’interroger sur la capacité objective du couple de Rugy à se sortir d’un tel champ de mines. Aucune tentative ou réplique de nature communicationnelle ne dispose d’une garantie de résoudre le problème initial. Une arme militaire dispose d’une certitude : est-elle plus ou moins forte que celle contre laquelle elle est employée ? En communication quelle que soit l’arme, il s’agit de mesurer si elle peut percer un objet sans blindage mais parfois doté d’une barrière infranchissable ; si elle peut brouiller l’esprit du public, pour le faire douter. C’est une question d’équilibre. A l’émotion, dont la puissance neurologique est considérable, suscitée par l’attaque de Mediapart, formule-t-on une réponse par l’argumentation, même irréprochable et logique de bout en bout. Les communicants et tout particulièrement les publicitaires savent qu’il n’en est rien !

De plus, la macronie vit avec une épée de Damoclès placée au-dessus de sa tête, celle qui a fait élire le Président Macron.

Cette épée porte les armoiries d’un nouveau monde et les portraits d’une assemblée d’élus désormais épargnés par les turpitudes de la politique à l’ancienne.

De surcroît, M. de Rugy s’est fait le chantre de ces élus enfin débarrassés des addictions consistant à vivre avec indécence aux crochets de la République usant sans vergogne dans leurs propres intérêts des largesses de la République et des deniers des Français. Un point que les « gilets jaunes » ont largement mis en exergue dans les premiers temps d’un mouvement bien plus clair qu’il ne l’est dans ses récriminations à l’encontre de leurs représentants.

Dans la Bible (Matthieu, 26-52) Jésus s’adressant à l’un des hommes d’une foule dans laquelle se trouvait Judas lui lance : « remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. ». Macron, élu du nouveau monde en politique, n’a que peu appliqué les versets de son évangile lors de l’affaire Benalla, il l’a appris à ses dépens. Dans l’affaire de Rugy, il ne pouvait laisser croire qu’il n’avait rien digéré de la leçon. Fort heureusement, dans l’affaire qui nous occupe, l’apôtre de Rugy s’est lui-même sacrifié (Décret du 16 juillet 2019 – Article 1 : Il est mis fin, sur sa demande, aux fonctions de M. François de Rugy, ministre d’Etat, ministre de la Transition écologique et solidaire ».

Tout est bien qui finit bien !

Jacky Isabello
Cofondateur de l’agence Coriolink
Membre du comité éditorial de la Revue Politique et Parlementaire. Administrateur du Think tank Synopia

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