Journal des Futurs #57 – La crise du COVID-19 : un nouveau souffle pour l’Europe ?

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À l’approche de l’été, se pose en Europe la question des grandes vacances : où et comment pourrons-nous les passer ? Nous nous souvenons peut-être de l’été 2020, quand, de par l’Europe entière, nous avions d’un commun accord tacite voulu conjurer le sort et chasser de nos pensées et de nos actions le risque d’une deuxième vague de l’épidémie mortelle de COVID-19. Mal nous en a pris et le bilan est très lourd, trop lourd, même s’il n’est pas encore temps de faire ou de rendre des comptes. Au-delà, cependant, de la question très justifiée des vacances – nos concitoyens ont un besoin immense de changement de décor et le recours à ce que les Allemands appellent les vacances à « Balkonien » (sur le balcon…) ne sera ni compris, ni accepté –, se pose d’une manière aussi pressante la question de la gouvernance future avec ce fléau. Celui-ci semble vouloir être récurrent et, d’ores-et-déjà, il laisse des traces très lourdes, non seulement dans le budget de nos États européens, mais aussi dans les rapports entre ceux-ci et leurs citoyens respectifs. Ces quelques réflexions se limitent volontairement à notre seule Union Européenne. 

L’Europe

Rappelons, tout d’abord, que l’Europe n’a pas (encore) de rôle propre dans le domaine de la santé, hormis celui de compléter et d’appuyer les politiques nationales de santé et d’encourager la coopération entre les États membres (Art. 168 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne). Ainsi, dans les travaux préparatifs de la présidence allemande du deuxième semestre 2020, le but du ministère de la Santé de Berlin était de trouver un agenda aussi intéressant que non-contraignant, pour éviter un glissement de compétences vers Bruxelles. 

La déclaration de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) du 11 mars 2020 décrétant le COVID-19 comme pandémie mondiale a entièrement changé la donne. Dans une telle situation de crise générale, coordonner et compléter ne suffisait plus, il fallait aussi compenser, ce qui a posé la question de la solidarité au niveau de l’Europe, les pays membres n’étant pas à même de répondre de façon égale à l’enjeu. Les laboratoires de recherche médicale se sont lancés dans une course effrénée pour le développement d’un vaccin, course qui, de l’avis unanime des experts, a abouti dans un temps record à une gamme de vaccins capables de freiner le développement de la pandémie et de protéger les vaccinés contre la maladie, voire des effets du COVID-19. 

L’Europe a su soutenir cet effort de recherche et a réussi – en convaincant les États membres de lui donner le mandat d’organiser la commande et la distribution des quotas de vaccins au niveau européen – à éviter toute velléité d’égoïsmes nationaux, risque dont « souffrent » essentiellement les grands États membres. Cette décision a été agrée d’autant plus facilement que les États cherchaient, tout particulièrement en ces temps-là, à limiter « la casse budgétaire » et que les perspectives d’avoir rapidement un vaccin étaient on ne peut plus aléatoires. Passons sur le fait que l’Europe a mis un temps certain pour passer les contrats de commande et que les quantités commandées ne suffisaient pas au début. Mais elle l’a fait pour tous – la solidarité tant prônée ! – dans une situation où rien n’était garanti, ni la réussite de la recherche médicale ni les effets escomptés du vaccin. Ne soyons pas naïfs : le même processus au niveau national aurait exclu du vaccin sauveur une bonne partie de l’Europe – du moins pour des mois – et aurait certainement couté plus cher aux États faisant cavalier seul, et cela non seulement en monnaie courante, mais aussi en frais politiques. Si le COVID-19 ne sauvera pas l’Europe de la crise dans laquelle les extrémismes et égoïsmes nationaux, ainsi que le Brexit, l’ont lancée, l’approche contraire l’aurait certainement fait imploser. Et qui sait : la solidarité anti-COVID-19 et la découverte par nos citoyens du phénomène – inconnu de la plupart – de frontières fermées, et cette envie de voyages et de liberté intra-européenne, peuvent être le ferment d’un nouvel élan pro-européen, toujours si nous savons le reconnaitre et le valoriser.     

Les États membres 

Combien de gouvernements ont découvert à quel point ils étaient impuissants en vérité contre une pandémie par définition mondiale ? Chacun y a été de son petit chemin – ce qui est légitime eu égard aux réalités constitutionnelles nationales –, sans que l’on puisse réellement décerner une palme du meilleur élève. Entre une Suède vivant comme si de rien n’était et une Italie « fermant » des régions entières, entre une Allemagne demandant poliment à ses citoyens de rester chez eux et une France les verbalisant, les voies choisies diffèrent, les résultats moins, si l’on tient compte de statistiques officielles rarement comparables. 

La pandémie a « résisté » à toutes ces mesures et a dévoilé dans la durée à quel point les gouvernements et leurs administrations avaient du mal à trouver une réaction efficace et convaincante – et de ce fait acceptée par tous – et combien ils ont paré au plus pressé, et au jour le jour. La rhétorique de guerre en France et l’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix le 11 novembre 2020 ne peuvent cacher à quel point nous avons été loin de l’effort surhumain de « Ceux de 14 ». En France le secteur hospitalier a été pendant longtemps « oublié » par les mesures anti-COVID-19, tandis que l’Allemagne demandait à tout ses hôpitaux – publics comme privés – de reporter les opérations au profit de malades qui, tout d’abord, ne vinrent pas « de l’intérieur », mais des pays voisins. Elle découvrait aussi à quel point le fédéralisme aidait localement, tout en empêchant une vue et une réaction d’ensemble. Tous, nous devrons bien nous rendre à l’évidence que le secteur qui a été le plus mobilisé dans cette pandémie est partout en Europe en mal de modernisation, de digitalisation et tout simplement de moyens, et que nos États ont ici un lourd cahier des charges à réaliser au plus tôt, avant l’arrivée en masse des mutations et autres pandémies.   

Les citoyens européens 

Dans les vitrines des librairies allemandes un livre saisissant et combien actuel a refait surface : « La peste » d’Albert Camus. Quelle ville d’Europe peut être comparée à l’Oran de Camus ? Bergame ? Quand est-ce-que le confinement nous a enfermés au point décrit par Camus ? Certes, les cafés étaient ouverts à Oran, alors qu’ils sont fermés depuis 9 mois en Allemagne. Mais avons-nous vraiment été empêchés pendant des mois de quitter notre ville ? Notre société médiatisée provoque la comparaison et de ce fait la critique, voire le refus des mesures locales au motif que d’autres « ont le droit de… ». Gouverner un peuple dont on ne contrôle pas l’information est devenu plus difficile que dans le passé. Mais n’approchons-nous pas là une forme de « démocratie du quotidien » qui contraste de beaucoup avec nos anciens réflexes de confiner les citoyens à une seule participation électorale espacée dans le temps ? Les mesures gouvernementales au jour le jour ne seraient donc pas seulement le fait du manque de clarté face à une pandémie qui tarde à nous dévoiler ses secrets, mais aussi une réaction aux besoins pressants des citoyens. Certes, je crains que peu partagent cette analyse que j’ose néanmoins, sachant que nous préférons voir dans une correction de mesures, l’aveu d’une faute plutôt qu’un « je vous ai compris » face aux critiques et demandes pressantes de nos concitoyens.

La pandémie du COVID-19 n’est pas la première – avons-nous déjà à ce point oublié toutes les épidémies de peste d’antan, la grippe espagnole de 1920 qui causa plus de morts que la 1ère guerre mondiale, sans compter la grippe de Hong Kong des années 1969-1970 ? – et elle ne sera malheureusement pas la dernière. Mais, informés comme nous le sommes aujourd’hui, elle nous oblige à repenser nos modèles de vie et de gouvernance, afin d’être à l’avenir plus à même de répondre d’une manière plus flexible, efficace et toujours solidaire à des menaces qui se moquent de nos frontières traditionnelles, tant intellectuelles que géographiques. L’Europe a une réponse continentale et une participation mondiale à apporter, nos gouvernements doivent, toujours en accord avec Bruxelles, se redonner les moyens de la riposte régionale et locale. L’après-COVID-19 est une chance à ne pas manquer, pour l’Europe, pour ses États membres et par-dessus-tout, pour nos concitoyens !

Stéphane Beemelmans  
Ancien Secrétaire d’Etat à la Défense en Allemagne, Directeur général de l’entreprise de conseil publique PD-Berater der öffentlichen Hand GmbH à Berlin et membre de Synopia.

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