« Réforme des retraites: entre deux échecs, une troisième voie est possible! », par Alexandre Malafaye

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Article publié le 8 janvier dans l’Opinion.

La réforme des retraites, telle que voulue par Emmanuel Macron et portée par Edouard Philippe, paraît bien mal engagée. Quelle que soit l’issue du conflit, le nouveau système ne sera pas le régime vraiment universel, équitable et pérenne, qui permettra d’envisager sereinement les cinquante prochaines années. A l’évidence, il a manqué une réflexion plus globale sur l’avenir de notre société – réflexion qui aurait sans doute permis de sortir du marasme actuel. La façon de mener cette réforme est bien sûr en cause et, même si le débat n’en est plus là, les questions de méthode devront impérativement être abordées.

Car il y a de sujets de consensus à partir desquels il aurait été possible de construire un projet juste et accepté. Le système des retraites et plus largement celui de la protection sociale, créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale autour des valeurs d’efficacité et de solidarité, ne tient plus. Il a été ravaudé de tant de manières que le tissu originel n’apparaît plus guère sous les multiples empiècements. Et, s’il y a consensus en France sur les notions de justice, de solidarité, de fraternité que traduit le système par répartition, les avis divergent sur son application concrète. En outre, l’allongement de la durée de vie et l’arrivée des « baby-boomers » à l’âge de la retraite, font peser un surcroît de dépenses sur le système, alors même que les cotisations diminuent du fait de l’augmentation du chômage et des plus faibles contingents entrant sur le marché du travail.

Envisager un nouveau système adapté à la société du XXIsiècle s’impose donc. Mais transformer un système qui a fonctionné pendant plus de soixante-dix ans et auquel des générations ont eu le temps de s’habituer constitue un chantier colossal qui ne peut se réduire à une réforme « technique » des retraites ou un alignement progressif sur le système moins-disant.

Cette transformation de notre modèle soulève plusieurs questions. Comment fournir aux retraités un revenu digne qui ne soit pas issu de l’assistanat ? Comment repenser le travail dans un contexte où le chômage est continuellement élevé, surtout chez les jeunes et les plus de 50 ans, où la croissance n’est plus ce qu’elle était, où les contrats de type CDI laissent de plus en plus la place à des formes hybrides de salariat, où, enfin, les machines remplacent, dans de nombreuses filières, les hommes et les femmes ?

C’est une évidence : beaucoup de paramètres ont changé depuis 1945. La carrière n’est plus linéaire et l’entrée sur le marché du travail est plus tardive qu’au siècle précédent. La population est, dans l’ensemble, mieux formée, plus qualifiée ce qui constitue un atout stratégique pour la France qui figure déjà dans le peloton de tête d’une économie de la connaissance. Si l’entrée sur le marché du travail est retardée, sa sortie en revanche est anticipée : une grande partie des seniors se voit sous-employée, mal employée ou au chômage. Ce qui constitue aussi une perte hautement préjudiciable pour notre société : celle de la transmission du savoir et de l’expérience.

De cette constatation nait un premier point de débat possible : comment organiser la carrière et les cotisations dans de telles conditions ? Faut-il considérer le temps d’étude comme un temps de cotisation, sur le même modèle que les périodes de formation professionnelle ? Faut-il considérer le cocktail inconfortable d’emplois précaires et de périodes de chômage, qui caractérise l’activité de nombreux seniors, comme un phénomène normal constituant le nouveau standard ? N’y-a-t-il pas lieu de réfléchir collectivement à une organisation du temps de travail sur toute une vie, d’une façon qui satisfasse les personnes et qui évite les « trous » de financement des intéressés ou des caisses ?  

Les carrières ne se font plus, ou rarement, au sein d’une même entreprise. Un salarié change plusieurs fois d’employeur, de métier, de lieu de travail ; il passe du public au privé, et de plus en plus souvent, par la case des professions libérales, les cadres seniors sont incités à devenir consultants et les jeunes à « délivrer » des repas à domicile. Ceux qui travaillent un temps à l’étranger connaissent des régimes sociaux très différents du régime français. Enfin, les femmes qui consacrent du temps à la maternité sont de factopénalisées par le système actuel des retraites. 

Dès lors, comment penser et organiser la retraite de personnes aux carrières multiples et variées ? La commission Delevoye avait certes perçu l’importance de cette question, mais ses préconisations ne sont pas allées au bout de la réflexion.   

Une fois à la retraite, les pensionnés demeurent actifs. Ils sont les soutiens de leurs enfants, ils gardent souvent les petits enfants et s’occupent de leurs propres parents dépendants. Ils sont les piliers des associations et des ONG. Ils participent, de fait, à la vie sociale et même économique du pays. Donner aux retraités des moyens convenables de vie, c’est ainsi contribuer à l’équilibre économique et à la cohésion sociale. Pourquoi ne pas intégrer ces données dans le raisonnement global devant conduire au nouveau système de retraite ? De la même façon que les paysans sont aujourd’hui rémunérés pour être les « gardiens des paysages », fonction qui n’est pas liée à leur production, pourquoi ne pas considérer que les retraités sont les « gardiens de la cohésion sociale », et qu’ils méritent à ce titre une juste rémunération ?  

Enfin, une réflexion sur le travail et la retraite ne peut se passer d’intégrer une nouvelle donnée : celle du quatrième âge et de la grande dépendance. L’espérance de vie augmentant, il est désormais fréquent que nos contemporains passent les dernières années de leur vie en situation de dépendance plus ou moins prononcée. C’est une situation douloureuse et souvent couteuse pour les intéressés et leurs proches. C’est également un phénomène qui interroge le corps social : comment organiser au mieux, financièrement et humainement, ce nouvel âge ? 

Par ailleurs, la production de richesses, et partant, l’organisation du travail dans les entreprises n’est plus ce qu’elles étaient au cours des Trente Glorieuses. La robotisation a fait son apparition, et les machines créent probablement plus de valeur ajoutée que les humains. Faudrait-il alors faire payer aux machines une part croissante de l’entretien des humains ? La mondialisation paraît incontournable et l’économie française doit rester une économie ouverte, ce qui entraine inévitablement une délocalisation des productions (voire de la conception), et une affectation des bénéfices dans des holdingsexotiques. Pourrait-on alors imaginer de faire contribuer les entreprises françaises, auxquelles des générations de Français ont apporté leur pierre, aux ressources de ces mêmes Français devenus retraités ? 

Toutes ces questions sont liées à l’avenir des retraites et se posent aujourd’hui de façon incandescente, chacun voyant midi à sa porte et défendant sa propre situation en faisant pourtant appel aux mêmes grands principes. Or, en démocratie, les débats doivent être ouverts et organisés dans un espace public qui permette la confrontation des idées. La méthode démocratique implique aussi que les termes du débat soient négociés dès le départ entre toutes les parties-prenantes, sans arrière-pensées. La commission Delevoye n’a semble-t-il pas privilégié cette voie, et nous sommes maintenant face à deux échecs possibles : le retrait de la réforme ou son édulcoration à l’excès.

Aussi, pour sortir de l’impasse, il serait sans doute judicieux de suggérer au Président de la République de reprendre la main et de la hauteur en annonçant la tenue d’un Grenelle sur un nouveau contrat social, duquel sortirait les grandes réformes indispensables : définition des nouveaux emplois liés au numérique et conditions de leur exercice, contribution des entreprises au partage de la valeur dans le temps, renouvellement des générations, emploi des « seniors », retraites et dépendance, transition entre un système et l’autre et gestion des « perdants ». 

Ce Grenelle serait l’occasion de mobiliser l’ensemble des parties prenantes : les « partenaires sociaux » traditionnels, syndicats patronaux et syndicats ouvriers, mais aussi des consommateurs, des collectivités locales, des universitaires, des étudiants, des chômeurs, des travailleurs libéraux, des retraités, des femmes, etc. Il pourrait donner lieu à suffisamment de communication pour que l’opinion publique puisse progressivement converger vers les nécessaires consensus.


Un tel Grenelle est un projet ambitieux. Mais compte tenu de l’état de la France et de la crise de confiance qui la secoue, c’est sans doute la seule solution pour mobiliser les Français autour d’un grand projet d’avenir. Redonnons du temps au temps. Et cessons de malmener cette réforme et les Français.

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