La gouvernance de demain : le match des superstructures contre les initiatives citoyennes

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Quand on pense gouvernance, on pense spontanément aux institutions qui détiennent une partie du pouvoir de décider pour l’ensemble de la collectivité. Par exemple, dans un système de dictature, la gouvernance se réduit à un seul homme et à ses affidés. En démocratie, la gouvernance met en action de nombreux organes, définit l’équilibre qui prévaut entre eux (équilibre qu’il convient au demeurant de renouveler en permanence) ; ce sont ces organes (Gouvernement ; Parlement ; institution judiciaire ; etc.) qui sont à l’origine des décisions, grandes et petites, qui régissent la vie de la communauté.

La science qui étudie le fonctionnement de chacun de ces organes, ainsi que des rapports qu’ils entretiennent entre eux, est la science politique. Des milliers d’ouvrages, d’études et d’articles ont labouré ce champ.

Cependant, un phénomène nouveau apparait depuis quelques années, qui pourrait bien bousculer toutes les théories longuement et patiemment élaborées. Ce phénomène, beaucoup moins étudié que le fonctionnement des organes de gouvernement, est l’irruption et le développement rapide, dans le domaine du fonctionnement des sociétés humaines, des multiples applications concrètes de l’auto- gouvernance.

En effet, nés sur les brûlis de Mai 68, les essais de prise en charge par des groupes de citoyens de fonctions jusque là dévolues à l’Etat se sont multipliés ces dernières années.

Les exemples foisonnent : Là où le ministère de l’agriculture organisait la production, le contrôle qualité et la distribution, les AMAP cherchent le circuit court du paysan aux consommateurs. Il en va de même pour le ministère du budget vis à vis des SEL.

Les innombrables associations humanitaires d’aide aux nécessiteux font le travail naguère dévolu au ministère des affaires sociales ; les associations de lutte contre l’illettrisme ou de soutien scolaire celui du ministère de l’Education Nationale ; les fêtes des voisins ou les flashmobs n’attendent pas que le ministère de la culture organise les choses ; le covoiturage s’organise sans l’appui du ministère des transports ; le crowdfunding se substitue à l’action du ministère du développement industriel… Les exemples pourraient ainsi être multipliés.

Même dans les domaines les plus régaliens, les plus consubstantiels à l’action de l’Etat, les citoyens s’auto-organisent. Dans de nombreux pays, la sécurité publique est devenue l’affaire des habitants : du « neighbour-watching » américain aux « patrouilles civiques » italiennes, en passant par les « corbeaux de la nuit » scandinaves, les citoyens n’attendent plus de l’Etat qu’il fasse tout en matière de sécurité publique.

Ce phénomène est nouveau. Il correspond à des sociétés dans lesquelles le niveau d’instruction est élevé, et où les individus ne souhaitent plus subir mais prétendent, à leur niveau et avec leurs proches, bâtir leur propre destin. Il est puissamment appuyé, dans son passage à la réalisation concrète, par les moyens nouveaux de communication (internet, mails, réseaux sociaux, smartphones, etc.)

Il est à prévoir que la volonté d’auto organisation va rapidement croître et toucher des compétences qui étaient jusqu’ici des prérogatives des pouvoirs publics. Il est bien entendu difficile d’imaginer aujourd’hui toutes les initiatives qui vont éclore, mais il est fort probable que leur développement fera tache d’huile et que tous les champs de la vie sociale et tous les habitants seront rapidement concernés.

En matière de gouvernance, cela va bouleverser l’équilibre actuel : le rôle des organes de « superstructure » (Gouvernements, collectivités locales, Parlement ; etc.), habitués à décider souverainement pour tous – sous réserve de solliciter tous les cinq ou six ans un quitus de gestion – sera interrogé. Le mouvement bottom–up (du bas vers le haut) va en effet inévitablement entrer en collision avec le traditionnel mouvement top-down (du haut vers le bas). Le rôle de l’Etat s’en trouvera changé en profondeur. Il ne s’agira plus de décider tout d’en haut, il faudra au contraire accompagner et sécuriser les initiatives spontanées. Sacré changement de perspective ! C’est probablement la fin de la loi « générale et impersonnelle »…

Même les systèmes de prélèvements feront l’objet de discussions : pourquoi les citoyens engagés dans ces structures participatives consentiraient ils à la totalité de l’impôt, alors même que ce sont eux qui « font le boulot » ?

Que sortira-t-il de cette collision entre les superstructures traditionnelles qui incarnent jusqu’ici la volonté générale et l’intérêt général, et la floraison de microstructures d’initiative citoyenne, bientôt unies en réseau ? Un progrès de la citoyenneté ou une désagrégation des sociétés jusqu’ici unies au sein de nations ? Comment trouver les régulations adaptées ? Que signifie un Etat-nation ? Quelle politique étrangère dans ces conditions ?

Ce sont à ces questions (et quelques autres !), lourdes pour l’avenir de la gouvernance des sociétés de demain, auxquelles devra probablement s’intéresser la science politique dans les années à venir. Ainsi, l’étude des superstructures, et des « checks and balances » entre celles-ci, devient en grande partie surannée.

La classe politique actuelle serait également bien avisée de regarder ce phénomène, de comprendre ce qu’il signifie – notamment l’aspiration puissante des citoyens à ce que la maison commune soit mieux tenue, et que les services rendus soient meilleurs (« better value for money », disent les anglo-saxons) –, et d’adapter les pratiques en conséquence. L’Histoire montre en effet que les élites qui ont perdu leur utilité et leur légitimité sont, à plus ou moins long terme, condamnées à disparaître.

Xavier d’Audregnies, le 12 10 14

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